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Jules VERNE en son temps
Jules Verne en son temps
par
Robert MOSNIER (21ème fauteuil)
Explorons l’œuvre de Jules Verne, ce fils l’ainé de famille d’un grand avocat nantais qui entreprit à Paris des études de droit tout en s’adonnant à l’écriture, poèmes et pièces dramatiques aujourd’hui bien oubliés.
Il rencontre dans les salons parisiens Alexandre Dumas, il se lie d’amitié et lui restera fidèle, il se marie et achète une charge d’agent de change dont il se défera quelques années plus tard quand son ami et éditeur Hetzel lui proposera une rente à vie suite à l’énorme succès de son premier roman «Cinq Semaines en Ballon» avec la seule obligation de continuer avec la même verve ses romans d’aventure et d’anticipation.
C’est l’époque des drames historiques, longue suite de tableaux à visée politique contemporaine (Alexandre Dumas, Louis Vitet) mais aussi de drames bourgeois et des travers de ce nouveau monde dont la suffisance et le ridicule triomphent tout autant que l’éphémère d’une vie brutalement interrompue, annonciateurs de notre théâtre de boulevard ( Émile Augier).
Le roman historique, sous forme de feuilletons, Eugène Sue dans les Mystères de Paris, Rocambole, de Ponson du Terrail, les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, suivis de vingt ans Après poursuivent l’intérêt initié par le grand Hugo, avec Notre Dame de Paris de nouvelles qui captent l’intérêt des lecteurs où les passions se déchainent et la mélancolie romantique triomphe. Bouvard et Pécuchet, Madame Bovary de Flaubert mettent l’accent sur l’aspect psychologique mais la mièvrerie garde ses droits avec le feuilletoniste Octave Feuillet auteur de la Petite Comtesse, œuvre larmoyante, s’il en est.
Jules Verne allie aventure et étude de caractères, introduit le suspense, l’impossible. Il s’interroge sur le monde à venir, la puissance de la Science et les intérêts mercantiles d’une société de découvertes qui peut amener l’humanité tout autant à sa perte qu’à sa félicité. Ses personnages sont l’objet d’une étude fine, le drame n’exclut pas la recherche de personnalités dont la réflexion transcende l’émotion qui ne se dissout pas dans la contemplation de ses insuffisances.
Une sourde explosion, la dynamite avait éventré le coffre fort géant. .La fumée dissipée, parmi des papiers sans importance, un trésor, une liasse de feuillets manuscrits que l’on croyait disparue
Le dernier Roman de Jules Verne,une anticipation « Paris au XXI siècle!»
Près d’un siècle après sa mort 1905, la fortune avait encore frappé….
Qui est il ce personnage,auteur de soixante dix romans, de pièces de théâtre, de poèmes en vers?
De la stratosphère ( de la Terre à la Lune) aux entrailles de la terre (les Indes Noires), des profondeurs sous marines ( vingt mille lieux sous les mers) (autour du monde en quatre vingt jours) d’un Passe Partout, aux voyages mouvementés des (enfants du capitaine Grant) il nous fait découvrir l’ univers, nous ouvre aux autres civilisations, dépasse nos angoisses, transcende nos peurs imaginaires.
Ce nantais qui n’a pu être marin, navigue dans son imaginaire, loin du fantastique très au fait des découvertes de son temps, créant celles à venir.
Je me souviens de mon émotion, lorsque découvrant l’Islande, terre de glace et de feu, de landes désolées où s’ébattent des centaines d’espèces d’oiseaux aquatiques, je contemplais le volcan dominant la capitale Reykjavik, où des explorateurs téméraires s’enfonçaient dans son cratère pour fouiller les entrailles de la terre et nous révéler son mystère…
Présent sur les cinq continents et dans le Cosmos à cette époque de révolution technique et industrielle, deux dates retiennent l’attention et expliquent cette mutation profonde des sociétés, celle de sa naissance 1828 et celle de son décès 1905.
La France de la Restauration est une France paysanne, elle découvrira lentement le chemin de fer dont le réseau en toile d’araignée vers Paris s’épanouira sous Napoléon III.
Il faut neuf jours en diligence et coche d’eau pour gagner de Toulouse la Capitale. En 1856, date de l’arrivée du train, il suffira d’une journée. Le chemin de fer réduit les distances mais faire le tour du monde en quatre vingt jours demeure un tour de force.
Le temps s’accélère et l’espace se rétrécit, les mentalités changent mais plus lentement. La France en 1870 n’est plus un continent, la Fée électricité illumine les travaux publics du préfet Haussman qui détruit le Paris médiéval, celui d’Hugo et de Notre-Dame, aère la ville, suit les préceptes hygiénistes, élargit les rues, apporte le confort aux classes aisées rejetant le prolétariat ouvrier dans les quartiers insalubres des faubourgs;
C’est aussi l’exposition universelle de 1867 qui consacre le triomphe des arts, des sciences et des techniques, cette France industrielle à la seconde place derrière l’Angleterre, au coude à coude avec les États-Unis et l’Allemagne qui cherche son unité.
« Cinq semaines en ballon» l’éditeur Hetzel signe un contrat avec Jules Verne car il nous faut nous élever loin des spéculations d’une bourse qui enrichit puis ruine les épargnants et nous vaudra la série des Rougon-Macquart de Zola.
Fin d’un monde, l’esclavage aboli en France en 1848 par Victor Schoelcher le devient aux Etats-Unis : 1861-1865 suite au triomphe du nord industriel sur le sud agricole esclavagiste et cotonnier.
Si le spirituel trouve un nouvel élan avec Montalembert, Lacordaire, loi Falloux, Lamennais condamné pour une vision socialiste trop clivante, le scientisme et le positivisme reprenant le flambeau des Lumières, la notion de progrès et de bonheur dans la science ouvrent de nouvelles perspectives confondues en systèmes idéologiques dont on ne soupçonne pas les conséquences, religions des hommes sans Dieu.
Un Savant Anglais Charles Darwin, s’inspirant des travaux du zoologiste français Lamarck (Le Transformisme) met à bas la théorie de la création au profit de l’évolution et la sélection des espèces 1859. La génétique nait avec le moine Grégor Mendel et dans la théorie des rêves, 1896 Sigmund Freud explore l’inconscient, la force des pulsions sur nos comportements et nos responsabilités.
C’est un monde ancien pyramidal et ordonné qui s’effondre, la terre au centre de l’univers, l’homme créé et libre au profit d’une nouvelle dynamique, le mouvement!
Jules Verne l’avait pressenti, il en est un des promoteurs. Vers la fin de sa vie, il connaitra le téléphone, le moteur à explosion, la voiture et l’aéroplane, le télégraphe électrique, l’exploration du corps humain au travers des rayons X, autant de découvertes qui vont changer nos habitudes.
Le premier sous marin atomique américain passant sous le Pôle Nord portera le nom de Nautilus, hommage rendu à cet immense écrivain.
1905
La Belle Epoque, un monde en sursis qui avec la course aux armements va vers son anéantissement, la catastrophe de la guerre de 14, les lois sociales n’ont pas suivi ces grandes découvertes : ébauche des retraites ouvrières, assurances et prévoyance se mettent en place mais les inégalités se sont aggravées.
Jules Verne s’éteint
L’Afrique, ce continent vierge en son centre finit d’être exploré, les Arborigènes australiens seront encore longtemps qualifiés de sauvages ou primitifs. Jules Verne avait loué la grandeur de ces peuplades, mais les fixations et l’ethno-centrisme de l’occident, cette prétendue supériorité marque toujours les esprits.
C’est aussi la séparation non sans violence ni incompréhension de deux mondes, le religieux et le laïc, nécessaire à bien des égards pour la tolérance de la diversité mais qui produit excès et sectarisme.
Jules Verne, c’est la reconnaissance de l’altérité, il observe, ne compare ni n’exclue, au delà de l’aventure il nous fait découvrir un extraordinaire voyage de confiance et dépassement de soi.
10 juillet Retrouvailles académiques et séance solennelle

Quelques souvenirs :
Photos de Maryse et Michel Carrier (Cliquer sur les images pour les visionner)
Une vidéo de P. DE LA VIGUERIE : Notre dévoué tambour, Monsieur SIMON.
Quelques photographies de Michel OLLE
Poème de Marcel CARRIER présenté par Maryse CARRIER
Marcel CARRIER : « Le festin de Ségavène »

Poème dit par Maryse CARRIER à l’occasion de la cérémonie solennelle au château de la Cassagnère le 10 juillet 2021.
Alentour de la fontaine
Qui muse sous le couvert
Les sylvains de Ségavène
Banquettent à ventre ouvert.
Le temps fuit, le cidre mousse.
Quel délice sans pareil !
L’eau murmure sur la mousse ;
Le jour s’enfle de soleil.
Ils y sont tous les compères,
Les croqueurs, les engouleurs,
Les lampeurs de bonnes chères
Au poil de toutes couleurs :
Farou dont le nez bourgeonne
Bigornel qui cligne l’œil,
Pic, la trogne bourguignonne…
« Sens ce poul rouge au cerfeuil. »
Et Clampet le torte-patte,
Cacatol le lèche-plats,
Dril en perruque grenate
Qui sait tant rire aux éclats,
Et Fulbec, en peau de bique,
Micaron, la bouche en cœur,
Roum, aux airs de brun cacique…
« Cette tarte, quelle odeur ! »
Au dessert, Cluf dit la geste
De la Dame aux yeux de jais ;
Binot trousse un conte leste ;
Grél récite quatre lais.
Puis les violes, les harpes,
Luths, théorbes et rebecs
Scandent le Jeu des Echarpes
Fleuri de salamalecs.
Enfin, sur corbel de jade,
Dans un silence dévot,
Glouc apporte la croustade
De framboise et d’aubercot,
Un tortil de paste fine
Peinturé de jaune d’œuf,
Poudré de fleur de farine,
Comme un bel escarbot neuf,
Aux senteurs de rhum d’Antille,
De caramel, de verger,
De galette que l’on grille
Dans le four du boulanger.
Tsil débouche le champagne ;
Pam ! et pam ! foin des peureux !
Ah ! quel pays de cocagne !
Comme un rien peu rendre heureux !
Un nuage au ciel s’étire
Tel un écheveau de soie ;
Le vallon s’emplit de rire ;
L’écho roule de la joie.
Fuse la gaîté gaillarde ;
Vole au vent propos salé.
Le ruissel menu bavarde…
Le souci s’en est allé.
Marcel CARRIER

Marcel CARRIER (1909 – 2015)
Prisonnier de guerre de juin 1940 à mai 1945
Auteur de nombreux recueils de poésie, de textes en prose et de pièces de théâtre.
Les poèmes du recueil « Les Chansons du pêcheur de lune », d’où est extrait « Le festin de Ségavène », ont été créés (comme tant d’autres d’ailleurs) au stalag XI A, Altengrabow (dans la province de Hanovre).
Le poète dira un jour : « J’ai caché ma souffrance au fond de mon cœur et j’ai chanté dans ma prison pour oublier l’enfer du camp .»
Marcel CARRIER fut :
- 3 fois lauréat de l’Académie des Jeux floraux de Toulouse
- 9 fois lauréat des Jeux floraux du Languedoc à Montpellier
- A obtenu en outre 34 prix de différents concours littéraires
- En 2011, à l’âge de 102 ans, il fut honoré du Grand Prix de poésie André GASTOU de l’Académie du Languedoc.
Protégé : Mémoire de juin 2021
Conférence Georges GUIRAUD par Jean-François GOURDOU
Grande Réunion de retrouvailles de fin de covid le vendredi 11 juin 2021 à 12 h
Salle des capitouls de l’hôtel Mercure Saint-Georges Toulouse
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Conférence sur Georges Guiraud, grand prix de Rome de sculpture (1901 1989)
Cofondateur de l’Académie du Languedoc en 1964.
Par le docteur Jean François GOURDOU, secrétaire perpétuel.
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Chères consœurs, chers confrères, j’ai l’honneur et le plaisir de vous présenter un résumé de la biographie et du catalogue raisonné de notre ancien confrère Georges Guiraud avec un diaporama de ses œuvres.
J’ai pu retrouver sa biographie grâce à des archives personnelles, celles aussi de cartons d’un cousin toulousain et encore bien sûr par Internet et quelques livres d’art.
Georges Jean-Joseph Guiraud fut un grand peintre, médailler et sculpteur français, Grand prix de Rome en 1926, cofondateur de l’Académie du Languedoc en 1964 et à l’origine du prix de sculpture de l’Académie du Languedoc qui depuis porte son nom.
Georges Guiraud est né en 1901 au sud de Toulouse dans la commune du Cabanial, près de Caraman, au domaine de Gouyres, situé sur une colline du Lauragais donnant au printemps une magnifique vue sur les blanches Pyrénées.
Ce château du 17ème siècle aux pigeonniers pointus est dans notre famille depuis longtemps, Georges Guiraud était le cousin de mon père le Docteur Joseph Gourdou. Ils étaient très amis et il venait le voir à chacune de ses visites à Toulouse. A l’âge de 12 ans j’avais sculpté une vierge en pierre, la voyant, lors d’une de ses visites, il me dit que j’avais la vocation de sculpteur comme lui, mais je devins médecin comme mon père, toutefois il fut exaucé car je devins chirurgien, signifiant en grec ancien le travail de la main comme lui !
Très tôt Georges Guiraud fut tourné vers les arts, un peu par atavisme familial car son père officier de l’instruction publique était professeur au lycée de Toulouse et aussi peintre enlumineur.
Aussi Georges Guiraud après ses études toulousaines au lycée Fermat puis à l’école des Beaux-Arts de Toulouse voulut « monter » à Paris pour se perfectionner dans l’école des Beaux-Arts de Paris où il fut l’élève de l’atelier du célèbre sculpteur Jean Boucher. Une ancienne photographie le montre dans l’atelier de son maitre aux Beaux-Arts de Paris.
Plusieurs photographies montrent Georges Guiraud à plusieurs étapes de sa vie.
Dès lors il collectionna les prix : en 1923 deuxième prix de gravure en médailles puis en mai 1926 le premier Grand prix.Il exposa aussi au Salon des artistes français à Paris où il obtint la médaille de bronze en 1924 puis la médaille d’or en 1930.
Le Grand Prix de Rome fut créé en 1666 par le ministre Colbert du roi louis XIV avec ensuite l’Académie des Beaux-Arts et l’Institut de France, malheureusement il s’arrêta suite aux évènements de mai 1968.
En 1925 il fut 2ème Grand prix de Rome de sculpture et l’année suivante en1926 il obtint le premier Grand prix de Rome pour une superbe médaille représentant « un pécheur attaqué par une pieuvre », il fut alors pensionnaire à la Villa Médicis de Rome pendant trois ans de 1927 à 1930, une belle ancienne photographie le montre avec le groupe des pensionnaires à Rome.
A son retour à Paris il s’installa dans la cité des artistes de l’observatoire où ont séjourné des célébrités dont Eugène Delacroix, Jean-Baptiste Carpeaux, Paul Belmondo, il eut son atelier donnant sur le 77 de l’avenue Denfert Rochereau. Il y habitera toute sa vie avec son épouse Jeanne Guetton, mais ils n’eurent pas d’enfant. Depuis la cité a été démolie et reconstruite en habitations et bureaux toutefois son atelier a été conservé, comme montre la photographie ancienne et actuelle.
Dès lors de 1930 à 1985 soit pendant 55 ans Georges Guiraud eut une importante activité artistique de peintre, de sculpteur et surtout de médailler.
Après les années 1970 j’allais de temps à autre le voir à Paris dans son superbe atelier typique d’artiste, encombré de nombreuses sculptures et bustes divers en cours de finition, j’étais impressionné et sous le charme, nous discutions et il me disait qu’ il avait eu la chance de vivre à une époque mégalithique où les hommes dressent des pierres depuis les dolmens de la préhistoire, les obélisques égyptiens, les colonnes gréco-romaines, les croix et les statues des saints et maintenant les monuments aux morts.
C’est ainsi que mon cher oncle me fit entrer à l’Académie du Languedoc dans laquelle il m’installa au 25ème fauteuil le 30 octobre 1987 dans le foyer du théâtre du Capitole de Toulouse.
Il y avait aussi dans l’atelier une superbe statue de femme grandeur nature en marbre blanc qu’ il ne voulut jamais vendre ni donner d’explications, je l’admirais et curieusement selon le destin après son décès en 1989, ses héritiers directs de Paris la mire en vente aux enchères à Toulouse en 1994, pensant en faire une meilleure vente dans sa ville de naissance. Fortuitement j’ai eu connaissance de la vente et j’ai pu l’acquérir après une vive enchère, elle est ainsi depuis dans la maison de ma mère qui fut, me dit on ensuite, un temps son modèle !
Georges Guiraud décédera à Paris le 12 mai 1989 à l’Age de 87 ans et sera inhumé dans la Marne à Saint-Hilaire du Temple, pays natal de son épouse Jeanne.
Voici maintenant le résumé son catalogue raisonné.
Il fut ainsi d’une part peintre de portraits et de paysages, peintre de la Marine, institution créée en 1830 par le roi Louis Philippe pour primer chaque année un artiste talentueux. En 1942 il fut nommé peintre officiel du ministère de la marine, ce qui lui permit de devenir un grand voyageur par mer dans le monde entier, en Afrique, en Amérique, à la Réunion, au nouvelles Hébrides puis en Polynésie et de réaliser d’innombrables dessins, aquarelles et peintures, dont deux que j’ai pu retrouver, grâce à notre site Internet, par le musée de la marine de Paris suite à la fermeture de celui-ci récemment.
D’autre part il fut un très grand médailler.
Il fut surtout un grand et important médaillier parisien, auteur selon son catalogue raisonné de plus de 350 médailles de bronze d’argent et d’or, réalisées en grande partie à la Monnaie de Paris pour laquelle il était accrédité. Il participait à de nombreux concours qu’il gagnait souvent. J’ai le plaisir d’avoir pu collectionner plus d’une centaine.de ses médailles.
Certaines médailles sont célèbres.
Tout d’abord la médaille la plus connue est la pièce de monnaie à la fine tète de Marianne de la IV république des années 1950 à1960 de 10 Fr. 20 Fr. et 50 Fr. Ces monnaies sont en bronze cru pro aluminium doré. Ces monnaies ont été très largement répandues pendant 10 ans, certaines ont une grande valeur numismatique lorsqu’elles ont une anomalie sur le revers de la médaille au niveau des plumes du coq qui peuvent être uniques ou multiples. Il réalisa aussi une monnaie de 100 francs très rare car peu utilisé, et des francs en or, derniers Louis d’or de France et les monnaies de la Nouvelle Calédonie.
En second lieu en 1953 la nouvelle médaille d’Honneur du Travail des chemins de fer, cette médaille créée en 1913 à trois degrés,( bronze, argent et or) a été très largement distribuée pendant des années jusqu’à nos jours en particulier pour les agents de la SNCF et d’autres secteurs administratifs.
En troisième lieu la médaille de l’Assemblée nationale française de la mandature de 1956 avec une belle tête de Marianne et au revers le devant du bureau du président.
En quatrième lieu les médailles de l’Académie du Languedoc dont il fut un des fondateurs à Paris en 1964. Il réalisa principalement la médaille de l’association Toulousaine de Paris et la première médaille de notre collier représentant la tête de Clémence Isaure sur une croix du Languedoc et notre médaille de l’ordre latin puis plusieurs autres : les médailles du prix Apollon, du prix Goudouli, du prix Renée Aspe, celle des anciens élèves du lycée Fermat, celle de la chambre de commerce et du tribunal de commerce, celle du parc des expositions, la famille Sénac et surtout la très belle médaille de la ville de Toulouse qui est toujours distribuée. Il créa encore notre diplôme d’appartenance de fauteuil et de prix utilisé toujours depuis.
Enfin et surtout il réalisa de nombreuses médailles pour différentes personnalités, associations et sociétés. Celles pour la marine avec une médaille pour chaque lancement de navire, croiseurs, porte-avions, sous-marins dont des « tape- bouche » au bout du canon principal pour une inauguration . Médailles pour l’armée avec de nombreux colonels et généraux dont de Gaulle, Leclerc…Médailles pour l’aviation dont Mermoz, Potez, Didier Daurat. Médailles pour de nombreux académiciens avec leurs épées… Médailles pour des célébrités nationales lors de leurs anniversaires : Montaigne, le Notre, Alexandre Dumas, les contes de Perrault, Chateaubriand… . Médailles pour l’agriculture, l’industrie, les sports, le cinéma et enfin les pays d’outre-mer dont la Réunion, Cuba, Tahiti. Toutes ses médailles sont superbes, très fines, avec de très beaux reliefs sur l’avers et le revers, toujours classiques avec un style des années trente et toujours avec des portraits le plus souvent de profil très ressemblants et expressifs. Enfin les médailles sont toujours signées Georges Guiraud, souvent avec une ancre de marine, privilège des peintres de la Marine.
Dans le même temps en troisième activité il fut un grand sculpteur et réalisa de nombreuses œuvres dont certaines monumentales de 1930 à 1985.
Au début à Paris et à Rome, il réalisa de grandes statues classiques en plâtre et en terre puis il opta pour le style dit des années trente en particulier pour de nombreux bas-reliefs décoratifs, avec déjà une technique nouvelle utilisant les résines. Il réalisa ainsi le monument aux morts de son village du Cabanai, il avait fait auparavant celui du village voisin de Mouzens.
Il eut alors déjà des commandes extérieures d’une part en 1930 en Pologne pour la stèle du directeur d’usine Victor Tézenas du Montcel et en 1931 à Séville pour décorer de sculptures le palais et les jardins du comte Castilleja.
En 1932 il participa à la reconstruction de l’église du Blanc-Mesnil avec des bas-reliefs de ciment et en 1938 à celle de Juvezy avec une grande statue de la Vierge dans le chœur.
A partir de 1933 il réalisa de nombreux monuments commémoratifs comme celui de JCN Forestier au bois de Boulogne à Paris et de R Dupray de Mahérie à Pervenchères et aussi des monuments funéraires comme le buste de Jean Romanette, musicien sur sa tombe du cimetière de Clamart.
Il réalisa encore de nombreux bustes et stèles en particulier celui d’André Blondel de la galerie de l’Ecole des Ponts et Chaussées de Paris et de Jacques Bingen à l’Ecole des Mines de Paris
En 1939 il obtient la décoration sculptée d’animaux de la nouvelle Ecole vétérinaire de Toulouse mais qui du fait de la guerre changea d’affectation pour une autre école : l’ ENSICA
Ce fut alors le début des grands monuments :
En 1947 il réalisa la très grande statue de pierre de Jean-Charles Borda, mathématicien, officier de marine, érigée sur la grande place de Dax (Landes) puis en 1948 le monument aux sous-mariniers de Toulon.
En 1950 Grand Monument aux morts de Chambery, rénovation du monument aux Morts de 1914- 1918 et 1939- 1945 et monument-buste sur colonne de l’amiral Robert Battet à Neuvy sur Loire.
En 1951 Grand Monument de Saint-Gaudens (31) des 3 maréchaux de la guerre 1914-1918, Foch, Joffre, Galieni, inauguré par le président Vincent Auriol.
En 1951 Grand Monument de Chasseneuil sur Bonnière (Charentes), Mémorial de la Résistance Française 1940-1945 avec le V de la victoire et une immense croix de Lorraine.
En 1955 Saint-Louis du Sénégal, monument du passage de l’Atlantique par Jean Mermoz et monument aux morts de Saint-Denis de la Réunion.
En 1958 monument stèle à Cortina d’Ampezzo Italie pour Déodat de Dolomieu, géologue inventeur des Dolomites.
En 1959 monument stèle de Saint-Joseph de la Réunion, Raphael Babet et monument-buste sur colonne à Yaoundé (Cameroun) pour le docteur Jamot vainqueur de la maladie du sommeil.
Série des grandes proues de navires pétroliers de plusieurs mètres réalisées en résine par Georges Guiraud. En 1958 L’ Esso Parientis, nom du village du premier forage de pétrole. En 1960 Le Lorraine, en 1961 le Bourgogne, en 1962 l’Alsace.
En 1962 monument-buste du gouverneur général, Gaulliste en 1942 en Afrique, Felix Eboué, à Pointe à Pitre, Guadeloupe.
En 1964 décoration en ferronneries du palais du président Houphet Boigny de Côte d’Ivoire.
En 1967 rénovation de la salle des fêtes de la mairie de Saint-Joseph de la Réunion,
En 1969 monument-stèle à Corfou, Grèce pour Nicolas Politis
En 1971 Grand monument à Montaudran à Toulouse avec stèle pour Didier Daurat, héros de l’Aéropostale.
En 1975 Grande statue en bronze de Leucate de Francoise Cezelly, héroïne de la défense du village.
En 1978 monument funéraire avec stèle aux iles Marquises pour la tombe de Jacques Brel et sa compagne Madly, avec lesquels il avait noué une fidèle amitié pendant son long séjour en Polynésie.
Enfin en 1979 grand monument de pierre à Villefranche de Lauragais pour Déodat de Séverac, musicien de Saint-Felix, sculpté en 1939, puis mise en réserve à cause de la guerre et inauguré le 14 aout 1979 avec l’Académie du Languedoc.
En conclusion telle fut la belle, longue et riche vie de Georges Guiraud, qui fut à la fois peintre, médailler et sculpteur pendant 55 ans. Je tenais depuis longtemps à faire sa biographie et son catalogue raisonné de ses nombreuses œuvres. Profitant des temps de confinement j’ai pu les réaliser en éditant un livre et en vous présentant ce diaporama. Je suis ainsi heureux d’avoir fait mieux connaitre George Guiraud à tous les membres de sa chère Académie du Languedoc et à un plus grand nombre d’amateurs d’arts en général et de sculpture en particulier.
Dr Jean-François GOURDOU
Protégé : Mémoire de Mai 2021
« L’Anomalie »
(Hervé Le Tellier) : Prix Goncourt 2020
&
« Les Impatientes »
(Djaïli Amadou Amal) : Prix Goncourt des Lycéens 2020
Ces deux Prix Goncourt 2020 ne peuvent en aucun cas laisser le lecteur indifférent et nous ne pouvons que saluer le choix pertinent de ces deux romans si différents.
« L’Anomalie » nous perturbe en nous plongeant avec maestria dans le monde déroutant de la virtualité, des possibles difficilement envisageables, mais que le talent et l’humour de Le Tellier sait rendre parfaitement accessibles. Dans cette narration, la date si importante du « 24 juin 2021 » ne pouvait qu’inciter à explorer aujourd’hui même les mystères de ce roman !
Dans un autre style, « Les Impatientes » nous fascinent et nous effraient en même temps par l’évocation de pratiques ancestrales qui dépassent l’entendement mais qui ont bien lieu encore chez de nombreux musulmans africains. Il n’est jamais inutile dans ces cas-là de rappeler à tous et avec détails ces traditions toujours vivaces qui feront dire à une héroïne : « On m’a volé ma jeunesse, on m’a volé mon innocence. »
Vous trouverez ci-après une présentation de ces deux romans
par Maryse CARRIER Membre associé de l’Académie du Languedoc.

Prix Goncourt des Lycéens 2020 « Les Impatientes »
« Les Impatientes » de Djaïli Amadou Amal
Prix Goncourt des Lycéens 2020
par Maryse CARRIER
Membre associé
Le roman « Les Impatientes » fut une véritable révélation, permettant au grand public de découvrir Djaïli Amadou Amal, auteur camerounaise inconnue jusqu’à présent en France, révélée grâce à Emmanuelle Colas, éditrice inspirée d’une petite maison d’édition, et grâce à l’obtention surprise du Prix Goncourt des Lycéens 2020.
Ce roman qui met en scène la vie quotidienne de trois femmes débute par une somptueuse et effervescente fête d’un double mariage au sein de la bourgeoisie peule au Sahel : tout n’est que luxe ostentatoire avec « chants des griots mêlés aux youyous des femmes et accompagnés de joueurs de luth et de tambourin… ». Suivra un « banquet gargantuesque » dont les femmes seront exclues !
Mais ces festivités ne cachent-elles pas en réalité un drame ? Les deux futures épouses, les toute jeunes Ramla et Hindou, deux demi-sœurs, vont être en effet mariées de force à un homme qu’elles n’aiment pas et sont plongées dans la désespérance. Alors que leur père notamment et d’autres membres de la famille leur prodiguent sans cesse des conseils « avisés » tels que « Patience, munyal, mes filles, car la patience est une vertu et une prescription divine », ainsi que « Soyez soumises !» et alors que leur oncle leur énumère les trente commandements du Coran donnés « de génération en génération à toute nouvelle mariée », elles vivent toutes les deux un véritable cauchemar.
« Une rage impuissante et muette m’étrangle», pleure Ramla, car cette union l’oblige non seulement à abandonner ses études pour devenir pharmacienne mais aussi à rompre avec Aminou, son grand amour. Son oncle en effet a décidé qu’elle devait épouser « l’homme le plus important et le plus riche de la ville » !
Toutes ses suppliques auprès de son père et de son oncle, pour qu’ils reviennent sur leurs décisions, ne se heurteront qu’à des refus et même à des menaces de sévices corporels. Pourquoi continuer d’ailleurs à penser à Aminou ? Tout cela n’est qu’ « enfantillage… l’amour n’existe pas avant le mariage, Ramla. Il est temps que tu redescendes sur terre. On n’est pas chez les Blancs ici…», lui dit sa mère, ravie à l’idée que ce beau mariage va « faire pâlir de jalousie toutes les coépouses » et mettre en outre sa fille à l’abri du besoin.
Force est de constater que dans cette société où le père, le mari ont « tous les droits et la femme tous les devoirs », toutes ces mères prisonnières d’un système ancestral qu’elles reproduisent, ne semblent pas prendre toujours la mesure exacte de la violence faite aux femmes, induite indubitablement par tous ces mariages précoces et forcés, auxquels elles-mêmes furent pourtant soumises.
Et même si le jour du mariage de leurs filles, mères et tantes affichent des « yeux rougis et si des larmes creusent des sillons profonds sur leurs joues ridées», elles accepteront toutes les décisions patriarcales, car dit le Coran : « Vous appartenez chacune à votre époux et lui devez une soumission totale instaurée par Allah » !
Après la cérémonie du mariage Ramla rejoindra Alhadji Issa, son époux de 50 ans « choisi par Dieu », dans sa vaste et luxueuse concession, puisque selon les propos de son père : « Le destin en a décidé ainsi ».
Le Prophète ne dit-il pas pourtant que « le consentement d’une fille à son mariage est obligatoire » ?…
Quant à Hindou, totalement effondrée, elle appartiendra désormais à la concession de son oncle Moussa, un frère de son père, car elle doit impérativement épouser son cousin Moubarak, alcoolique et drogué, un bon à rien, qui comme ses frères d’ailleurs volera même l’argent de son père.
La nuit de ses noces, Hindou sera « violée brutalement et même assommée d’un coup violent » car « elle fait preuve de réticences. » Personne ne s’en formalisera, même pas le médecin qui devra soigner son corps : « C’est un acte légitime » lui dit-on, « ce n’est pas un viol, c’est un acte d’amour », « soumission et respect à son époux » étant les deux règles élémentaires et impératives qu’aucune femme ne doit jamais oublier… Et quel est le principal sujet d’inquiétude de la mère de Hindoue lorsque celle-ci vient un jour expliquer à ses parents que Moubarak peu après le mariage s’est enfermé un après-midi dans la chambre avec une fille ? : Pourvu que les coépouses – et rivales – n’apprennent pas les déboires des deux femmes ! Dans une concession en effet « où les femmes tournent en rond comme des lionnes… on ne se contente pas de détester sa coépouse mais on hait aussi toute sa progéniture. »
Suite à des menaces et à de violents coups répétés sur son corps recouvert bientôt de multiples hématomes ou ecchymoses (« à cause d’un malentendu » bien sûr, tout cela étant « dans l‘ordre des choses » !), Hindou décide un matin de quitter la concession. Bientôt retrouvée, elle sera alors flagellée par son père, fou de colère, qui frappera aussi sa mère, laquelle avait confié un jour à sa fille : « J’ai piétiné mes rêves pour mieux embrasser mes devoirs.»
Lors de l’accouchement de son premier enfant, on recommande à Hindou « de ne pas pleurer, de ne pas crier », sinon sa « dignité sera bafouée. C’est la volonté d’Allah d’accoucher dans la douleur.»
Hindou, anorexique à présent, est-elle devenue folle, est-elle possédée par un djinn malveillant ? « Combien de séances de prières ont murmuré les marabouts au dessus de ma tête ? » pense-t-elle, tandis qu’elle ne « supporte plus ni la vue ni la voix de son mari… de son père ou de son oncle » : Munyal, munyal ! Patience ! « Non, je ne suis pas folle, dit-elle. Pourquoi m’empêchez-vous de respirer ? Pourquoi m’empêchez-vous de vivre ? »
La troisième femme que nous rencontrons dans ce roman se prénomme Safira, la première et jusqu‘à présent l’unique épouse aimante de Alhadji Issa. Mais après 22 ans de mariage, Issa a pris une nouvelle femme, à peine plus âgée que la fille de Safira : « Je suis peut-être polygame, mais jusqu’à preuve du contraire je suis un homme libre et je fais ce que je veux », précise-t-il.
Or la présence de la nouvelle épouse, qui n’est autre que Ramla (que nous retrouvons ici) provoque ire et implacable jalousie de la part de Safira, la daada-saaré, pilier de la maison et de toute la famille : « Je ne veux pas partager mon mari ni me résigner en victime expiatoire ! », s’écrie-t-elle immédiatement.
En parfait connaisseur des rivalités entre coépouses, « livrées à une concurrence féroce », Issa les prévient à travers ce chantage : « Si vous me rendez heureux par votre bonne conduite, je ne prendrai pas de troisième épouse » !
Safira va dès lors mettre tout en œuvre pour « reconquérir son mari, son amant » et ne veut surtout pas entendre parler de munyal, même si ce terme est prononcé par un marabout !
Redoutant par-dessus tout que Ramla tombe enceinte, car « chaque enfant qu’elle aura ne fera que diminuer l’héritage des siens », Safira va préparer sa vengeance : tout d’abord elle laisse croire à son mari que Ramla lui a dérobé 6 ou 7 millions, ce que celle-ci nie bien sûr, en criant au complot ! Furieux Issa va tout d’abord répudier les deux femmes, pour finalement les reprendre.
Mais « telle une araignée, Safira tisse inexorablement sa toile autour de son innocente coépouse », faisant croire à présent à Issa que Ramla a un amant. Issa accable la malheureuse, la frappe, la blesse avec un couteau tout en étant convaincu de son impunité au cas où il l’égorgerait, car « dans ce pays, dit-il, les riches ont toujours raison.»
Après la fausse couche de Ramla, une amitié va étrangement se nouer entre ces deux femmes mais Ramla, trompant la vigilance des gardiens, va partir une nuit avant l’aube et s’évanouir dans la nature. Pour rejoindre son ancien fiancé ?
Persuadée qu’Issa reprendra une nouvelle épouse, Safira, consciente qu’elle ne reste pas dans cette concession uniquement « par amour mais pour protéger ses enfants et être à l’abri du besoin », pense à présent : « Peu importe l’épouse qui viendra… je dois garder mon calme… je lutterai… je gagnerai encore la bataille. »
Entend-elle les femmes de la famille lui répéter : « Et n’oublie pas, Safira : munyal, patience… » ?
« Les Impatientes », véritable réquisitoire contre des traditions sociales et religieuses ancestrales, à savoir le mariage forcé et la polygamie, pratiquées aujourd’hui encore dans de nombreux pays musulmans d’Afrique notamment, « laisse trois personnages féminins raconter leurs calvaires », leur descente aux enfers.
Djaïli Amadou Amal connaît bien ce sujet, pour avoir elle-même « subi deux maris épouvantables dans sa jeunesse », avant de créer l’association « Femmes du Sahel, d’épouser un mari ingénieur-écrivain » et de s’investir dans la littérature. Saluons cependant le courage de cette « impatiente » : ses prises de position, ses œuvres lui valent en effet toujours « pas mal d’attaques, voire de menaces sur les réseaux sociaux ou lors de conférences », de la part de tous ceux qui osent prétendre encore comme dans le roman qu’« une femme heureuse se reconnait à ses voyages à la Mecque ou à Dubai, à ses nombreux enfants et à sa belle décoration intérieure », et qui n’hésitent pas d’ajouter que « la polygamie est indispensable pour le bon équilibre du foyer conjugal » !
Félicitons d’autre part tous les jeunes lecteurs qui ont plébiscité ce roman en lui attribuant un prix prestigieux, leur sensibilité, leur désir de liberté, d’égalité entre hommes et femmes, leur besoin de fraternité ayant sans aucun doute guidé leur choix si judicieux.
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Prix Goncourt 2020 « L’Anomalie »
« L’Anomalie » Hervé Le Tellier
Prix Goncourt 2020
par Maryse CARRIER
Membre associé
« L’Anomalie », Prix Goncourt 2020, est un roman remarquable, à la fois passionnant et surprenant, « tenant à la fois du thriller, de la comédie humaine et du récit de science-fiction », selon l’auteur lui-même.
Ce roman particulièrement dense, en trois parties, où chaque chapitre pertinemment introduit par une précision géographique et temporelle comprend un portrait et un style littéraire différent, nous invite à croiser entre autres onze destins de personnages français et américains, de « tous les âges, de tous les genres et de toutes les couleurs de peaux. »
Dès le premier chapitre « Aussi noir que le ciel » nous découvrons Blake, un tueur à gages français, qui mène une double vie (ce qui est loin d’être anodin), Victor Miesel, traducteur et écrivain « maudit », dont « l’Anomalie » deviendra un roman culte après son suicide, une brillante avocate noire, Joanna Wasserman, compromise par nécessité au sein d’une importante société pharmaceutique polluante et qui sait deviner dans le rictus de son patron « ces signes symboliques qui imprègnent toutes les relations raciales ». Voici également la jeune Sophia Kleffman, dont la grenouille Betty va étrangement ressusciter et dont la mère à présent a peur de son époux, lieutenant héroïque de l’armée américaine, « devenu brutal et égoïste » depuis ses missions en Afghanistan. N’oublions pas le chanteur nigérian Slimboy, atterré par la situation économique et sociale de son pays et par l’homophobie régnante. Quant à l’architecte André Vannier, qui a dû se rendre en Inde pour remédier aux graves et dangereuses défaillances dans la construction par les autochtones de la Suryaya Tower, dont il est responsable, il vient d’être informé que Lucie, sa jeune, trop jeune amie, le quitte. Nous apprenons encore que l’un des meilleurs oncologistes de New-York ne peut plus rien face au cancer du pancréas, dont est victime son frère David…
Cette galerie de portraits ne serait pas complète sans la présence d’un jeune mathématicien surdoué de Princeton, Adrian Miller, auquel le Pentagone, déplorant son propre manque de réactivité lors du 11 septembre 2001, va demander d’imaginer « un protocole d’accélération des procédures » d’intervention. Par jeu Adrian invente avec Tina Wang le protocole 42, « une farce de matheux », au cas où les USA seraient confrontés à une situation jamais encore envisagée.
Mais quel est donc le point commun entre tous ces personnages, qui à la fin de chaque chapitre seront tous arrêtés (sauf Miesel) ?…
Il s’avère que le 10 mars 2021, ils ont tous pris le Boeing 787 pour un vol Air France 006 entre Paris et New-York (atterrissage à Kennedy Airport), piloté par le commandant Markle : tous sans exception ont cru que leur dernière heure était arrivée, leur avion étant pris dans des turbulences apocalyptiques comme dirigées par « une main invisible.»
Or un évènement bien mystérieux va plonger toutes ces personnes – et le lecteur – dans la sidération :
Trois mois plus tard en effet, le 24 juin 2021, le même Boeing que celui du 10 mars, effectuant le même vol entre Paris et New-York, transportant les mêmes 243 voyageurs, piloté par le même commandant de bord et endommagé lui aussi par des turbulences, reçoit l’ordre menaçant du Norad, puis du Pentagone de ne pas atterrir à New-York, mais sur la Base McGuire Air Force à New-Jersey, l’équipe du protocole 42 étant en alerte.
Mais « d’où sort cet avion, qui semble surgir de nulle part et qui a donné le code erroné d’un vol Air France Paris New-York ? »
Dans la deuxième partie intitulée « La vie est un songe », nous apprenons que ces derniers passagers sont immédiatement conduits dans un hangar secret et bien équipé, où ils seront « interviewés » et espionnés par la CIA et le FBI. Quant aux soldats qui les surveillent, ils « ont pour consigne de ne rien révéler de la date » actuelle à ces voyageurs, persuadés d’être au 10 mars. Ceux-ci sont d’autre part observés discrètement depuis une plateforme par les passagers du « premier » Boeing, « conduits par le FBI dans des fourgonnettes aussi noires que discrètes » jusqu’au même hangar… sur la Base McGuire Air Force à New-Jersey !
Mais que dire à ceux qui viennent juste d’atterrir ? demande Tina Wang au général de la Défense, Silveria : « Je vous conseille de ne pas leur dire qu’ils existent tous déjà en double quelque part et qu’ils n’ont rien à fiche sur Terre… », répond-il.
Situation de crise à la Maison Blanche ! Elle va se répercuter en France et en Chine, cette dernière étant restée étrangement muette sur un problème identique d’avion et de personnages « dupliqués. » Aucun prix Nobel ou Fields, aucun philosophe ne peut fournir d’explication, on avance alors l’hypothèse Bostrom de la simulation informatique, la CIA convoque les représentants de toutes les religions, qui ne fourniront « qu’une réponse doctrinale et fausse »… Et après la révélation par le Times de ce secret d’Etat, la NSA et Air-France, adeptes de « l’effacement », décident de « faire disparaître toute trace numérique du vol 006 du 10 mars. » De toute façon personne ne réclame ni cet avion si mystérieux ni ses passagers ! Mais le monde entier avec ses thèses complotistes, ses influenceurs, ses adeptes d’extraterrestres, ses illuminés, ses fanatiques… va apprendre la nouvelle.
Or « Quand 7 milliards d’êtres humains découvrent qu’ils n’existent peut-être pas, la chose ne va pas de soi » et cela peut même entraîner des suicides.
Dans la dernière et troisième partie « La chanson du néant », Hervé le Tellier nous plonge définitivement dans le monde inquiétant de la virtualité, ancrant la science-fiction dans la réalité.
L’invraisemblable se produit sous nos yeux, car nous assistons à la confrontation entre les passagers de mars et leurs « doubles » de juin, différenciés par l’appellation March ou June et assistés de psychologues ! « Rencontres du deuxième type », voire du « troisième type »…
En dépit de toute logique, chacun est bien obligé de penser : « Je suis toi, tu es moi ». Confrontés à cette nouvelle situation plus qu’insolite, source parfois de profonde introspection, de multiples questionnements sur le sens de la vie, le vieillissement, la mort, la pédophilie, la vie de couple, la garde alternée, la création littéraire… comment vont-ils tous trouver une solution ? En tuant son « double » comme Blake ou en se faisant établir un faux état-civil, pour prouver que « nous sommes jumeaux », comme le propose un des Slimboymen ? Mais la gémellité ne risque-t-elle pas d’attirer les foudres de fanatiques religieux (tel Jacob Evans), qui considèrent les « doubles » Adriana March et Adriana June comme des Impures ?
Comment expliquer enfin la « résurrection », « le double » de Victor Miesel « censé être mort » depuis son suicide le 22 avril : « Il était donc dans cet avion ? ». Victor affirme entre autres que « ce n’est pas lui qui a écrit « L’Anomalie», se demandant « si en fait nous ne sommes pas tous dans une « simulation ». Et c’est ce « revenant » qui affirme que c’est bien « dans l’avion, comme tout le monde » le 10 mars qu’il a « ressenti le moment exact que certains appellent la « divergence » ou même parfois « l’anomalie »… Puis « Les turbulences ont cessé et le soleil est revenu dans la cabine. Cette dernière phrase est aussi la définition du Prozac », poursuit-il avec un demi-sourire.
Car l’humour n’est pas absent de ce roman et l’on devine le plaisir de l’auteur lorsqu’il ironise sur des personnages qui rappellent étrangement un célèbre mathématicien français ou un président américain et ses assertions simplistes : « Une fois l’espace replié, il suffit d’y faire un trou » ! Mais il s’agit souvent d’un humour au deuxième degré : Jacob Evans n’est-il pas « aidé par Dieu, Instagram et Facebook » ? Et surtout n’oublions pas que « la liberté de pensée sur Internet est d’autant plus totale qu’on s’est bien assuré que les gens ont cessé de penser. »
Nous constatons souvent à quel point Hervé Le Tellier dans cette narration non linéaire prend plaisir à jouer avec les codes des styles comme nous l’avons vu, à jouer aussi en permanence à perdre son lecteur avec des mots, des phrases à double sens, l’obligeant à interpréter tous les non-dits, à se livrer à de fréquents retours en arrière ; il n’est pas rare en effet qu’une seconde lecture ne s’impose afin de saisir le sens caché du texte, toutes ces « choses cachées comme des œufs de Pâques » a dit l’auteur lui-même, comme c’est le cas avec « l’aventure » du roman de Victor Miesel qui a été en fait terminé par son éditrice, ce que l’on ne peut que deviner.
Ne joue-t-il pas aussi avec délectation sur cette notion du double (à l’image de Romain Gary qui exista sous deux noms jusqu’à sa mort), d’autant que « Je n’ai aucun doute sur cette idée du double : nous ne sommes pas seuls dans l’univers… », a affirmé un jour Le Tellier avant de conclure : « Il y a plusieurs univers simultanés qui existent et qui sont finalement des lieux d’embranchements du temps. »
C’est dire qu’Hervé Le Tellier, spécialiste de la littérature à contraintes, se comporte en digne président de l’OuLipo (« l’Ouvroir de Littérature potentielle »), groupe de littérature inventive, expérimentale et ludique, créée en 1960 par Raymond Queneau.
En tout cas « L’Anomalie » (Ed. Gallimard) est le deuxième prix Goncourt le plus vendu de l’histoire et il devrait être bientôt adapté en série.
Ce « roman de romans, virtuose et vertigineux » qui aborde un vaste panel de sujets d’actualité, mais où « la logique rencontre le magique », où la planète est confrontée à une vérité nouvelle, ne remet-il pas en cause toutes nos illusions ? Reprenons cette citation de Nietzsche évoquée dans cette œuvre si riche en références scientifiques et littéraires : « Les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont. »
Et laissons le mot de la fin à Victor Miesel : « C’est de l’espèce humaine tout entière que la simulation attend une réaction. Il n’y aura pas de sauveur suprême. Il faut nous sauver nous-mêmes » sauf si, comme à la dernière page, un troisième vol Air France 006 avec les mêmes passagers, piloté par le même commandant de bord Markle… mais quel sera à présent l’ordre donné par le président des Etats-Unis ? « Et le temps alors s’étire, s’étire avant… la vibration lente du monde. » Nouvelle « anomalie », « chanson du néant » ?…

























