La Joconde de Montal
par Louis GALTIE (17ème fauteuil)
Le dessein de cette présentation n’est pas de vous retracer la vie d’un grand génie ni d’analyser une œuvre qui est devenue un mythe de l’Humanité. Il s’agit plus modestement de vous conter le périple du célèbre tableau entre 1940 et 1945 dans notre actuel Midi-Pyrénées. Je m’appuierai sur des documents officiels référencés et je passerai parfois par des anecdotes de détail qui, d’après moi, précisent des événements dont s’emparent des légendes de toutes sortes.
Leonard de Vinci, né près de Florence le 14 avril 1452, est arrivé en France en 1516 à la demande de François 1er qui poursuivait une requête précédente du roi Louis XII. Installé à Amboise au Clos Lucé, il présente au roi trois de ses toiles majeures : Le St Jean Baptiste, La Ste Anne et La Joconde.
A son décès en 1519 à l’âge de 67 ans, Léonard fut enseveli dans une chapelle de la Collégiale St Florentin, plus tard ses ossements furent retrouvés et transférés dans l’actuelle chapelle St Hubert dans le parc du château royal.
Quelques dates : Louis XII 1462-1513, roi de 1498 à 1515 a vécu 53 ans.
François 1er 1494-1547. A vécu 53 ans
Victoire de Marignan1515, défaite de Pavie 1525.
Le tableau de La Joconde acquis par François 1er, peinture sur bois de 77 cm sur 53 cm, transmis aux collections royales est conservé au Musée du Louvre depuis 1802 sur décision de Napoléon 1er.
Lors de la 1ere bataille de la Marne en 1914 l’assaut de l’armée allemande fut difficilement contenu à quelques dizaines de km de Paris. Les autorités de l’Etat prirent rapidement conscience des dangers que couraient l’ensemble des collections du Louvre, soit par des bombardements, soit par la possibilité de saisies en cas de défaite de notre armée. Déjà on déplaça quelques œuvres majeures vers la province.
Dans les années 1930 un plan structuré de mise à l’abri des trésors du Louvre fut élaboré. Sous la haute responsabilité, technique et morale, de Jacques Jaujard (1895-1967), directeur des Musées Nationaux, il se déroula avec un succès décisif en 1940.Aujourd’hui la porte d’entrée de l’Ecole du Louvre porte le nom de ce très haut fonctionnaire de l’Etat qui demeure de nos jours trop méconnu.
Pour les peintures dont René Huyghe (1906-1997) est le conservateur l’évacuation en zone libre est assurée sans anicroches ; en premier lieu de dépôt au monastère de Loc-Dieu près de Villefranche de Rouergue. Tout ceci n’a été possible qu’avec le travail et l’engagement des gardiens du Musée (ils sont alors une trentaine sans compter leurs familles et plusieurs d’entre eux sont alsaciens-lorrains fuyant l’annexion hitlérienne de leur sol natal)
Rapidement, malgré la splendeur des lieux et des bâtiments claustraux, on constate des difficultés de conservation : humidité, éloignement de tout commerce, et surtout de tout établissement scolaire convenant à ce groupe de déracinés. En conséquence on déménage pour le Musée Ingres à Montauban.
Parmi les familles des gardiens il y a un jeune garçon, Jean Marie Varing (1932-2013) originaire de Boulay en Moselle, 30km de Metz. Il nous a laissé un témoignage spontané et pittoresque de sa vie de gamin. En 1942 il est envoyé par la Croix Rouge en colonie de vacances en Suisse !!! Il va devoir y rester 1 an et demi car fin 42 la zone sud est occupée et les frontières strictement fermées.
Même cause, mêmes effets… en 1943 le Musée Ingres est inondé par un orage et on craint un bombardement allié visant le pont du Tarn accolé au Musée. Il faut à nouveau déménager. Et ce n’est pas simple !!! : par exemple le cadre contenant « les Noces de Cana » mesure 10m de long.
C’est le château de Montal à Saint Jean Lespinasse qui devient la nouvelle destination. Proche de la ville de Saint Céré, dominé par les 2 tours (Turenne et Noailles) de Saint Laurent, à 8 km de la gare SNCF de Biars, sa situation reculée mais ouverte semble idéale. Au même moment d’autres départements du Louvre sont aussi amenés dans plusieurs manoirs ou châteaux tout au près de la rivière Dordogne.
Le château de Montal est un habitué des recours pour abriter des hôtes illustres. En juin 1940 les enfants de la famille royale de Belgique y ont séjourné pendant 3 semaines. Dans l’église paroissiale du village on a pu voir communier Joséphine-Charlotte, Baudouin et leur benjamin le roi Albert II.
A ces dates tragiques, le château, reconstruit de 1520 à 1524 dans le style renaissance, délaissé et dépouillé de ses sculptures à la fin du 19ème siècle, appartient en usufruit à la famille de Maurice Fenaille (1855-1937) grand industriel du pétrole (ESSO) ; nous avons l’honneur de compter parmi nos membres associés Madame Victoire de Montesquiou-Montal qui est l’une de ses arrières-petites filles. Madame de Billy, Madame de Panafieu et leur frère décédé accidentellement sont alors usufruitiers du domaine car leur père en a fait don à la France en 1913. Ceci après que tout avait été magnifiquement restauré, en particulier sous la supervision de Rodin.
La Joconde arrive à Montal le 23 avril 1943. Emballée dans sa caisse anonyme, elle n’en sortira jamais jusqu’à son retour à Paris en 1945. En revanche d’autres tableaux furent transportés dans la prairie de la ferme, les jours de beau temps, pour éviter l’humidité et les moisissures !!!
Sautons rapidement en juin 1944. Un comité de résistance est créé à l’initiative de Monsieur René Huyghe qui en prend le « commandement ». Tout alors va aller vite. Le document photo illustre bien cette période. On voit assez souvent André Malraux qui vient de Dordogne en voisin. Sur le cliché on distingue Jean Leymarie (1919-2006). Originaire de Gagnac, lauréat de grec au Concours Général des Lycées, ce jeune homme parvient à se faire embaucher comme gardien auxiliaire. Il devint le répétiteur en grec de Mademoiselle Frédérique Hebrard (plus tard épouse de Louis Velle) : elle était la fille d’André Chamson responsable du département des objets d’Art au château de la Treyne. Jean Leymarie eut ensuite une carrière brillante et fut directeur de la Villa Médicis à Rome de1978 à 1984.
Jean Marie Varing rentra à St Jean et fut hébergé avec ses parents et une grand-mère dans une vieille bâtisse noble du 15ième siècle à Lacayrouse. C’est pour moi un bien de famille transmis depuis 1797 repéré comme possession des Miers en 1503 lors du dénombrement décidé par Louis XII pour le service du ban et de l’arrière ban.
Ci-contre un nouvel extrait de son témoignage et le brassard FFI de Roger Guth qui est cité dans les résistants de 1944.
Peut-on écrire après une guerre aussi terrible, après la Shoah, que tout est bien qui finit bien ????
Pour la Joconde et l’ensemble des autres collections du Louvre tout fut facilement « rapatrié » à Paris en 1945. Un personnage toutefois s’imposa, celui de Monsieur Gérald Van Der Kemp (1918-2001) ; missionné à St Jean pour établir un bilan général de l’état des œuvres, il accomplit parfaitement son travail. Avec son épouse il résidait au manoir de Rèvery, demeure d’Anatole de Monzie, ministre important de la 3ème république, ami de Colette, Pierre Benoit et tant d’autres. Un grand malheur les frappa qui attrista vraiment la petite tribu villageoise de 250 âmes. La petite fille ainée du couple mourut subitement à l’âge de 2 ans et fut inhumée dans notre cimetière ; en 1948 leur petite Constance périt dans les mêmes conditions. Fort heureusement était né en 1946 Frank Van Der Kemp qui vit actuellement aux USA.
Gérald Van Der Kemp devint rapidement Conservateur en Chef des Musées de Versailles et le resta pendant 40 ans. Plus tard avec sa nouvelle épouse américaine il remit en état le domaine Monet à Giverny.
Cet homme remarquable et son épouse étaient très intégrés dans le village. Aussi, en1949, quand il fallut refondre le bourdon de notre sanctuaire Le versaillais accepta d’en être le parrain tandis que Madame la Comtesse de Billy, marraine, offrait la robe de baptême. Dans l’airain de notre clocher est donc inscrite cette belle dédicace : « je m’appelle Yvonne (Billy), Florence, Constance, mon parrain est Gerald Van Der Kemp, conservateur en chef des musées de Versailles », ce qui n’est pas commun. Enfin pour être complet, il faut dire un mot de l’ecclésiastique que l’on aperçoit sur la photo prise devant la Mairie. C’était Maurice de Laugardière, chanoine de la cathédrale de Bourges. Par aversion totale du nazisme il s’était réfugié dès 1940 au sud de la ligne de démarcation et était devenu le curé du village tout le temps de la guerre.
Sourions un peu ! Le caisson de la Joconde passa donc la guerre à Montal bien caché sous le lit à baldaquin de la « chambre rouge ». C’est ainsi que mon ami Guy, petit-fils du fermier, peut dire sans mentir qu’il a dormi avec la Joconde !!! Hélas !!!, né en 1943 il était encore emmailloté !
Bibliographie : Michel Rayssac « L’exode des musées » chez Payot.
René Huyghe « Une vie pour l’Art » chez de Fallois
« Renaissance de Montal », publication Amis
du Pays de St Céré 46
« Jocondes insolites », publication Espace Orlando
St Jean Lespinasse 46