Communication 20 décembre 2022

Le renseignement à Toulouse à la fin du siècle dernier et les prémices de l’affaire Mérah.

par Alain DREUILHE 20ème fauteuil

Bonjour à tous.

Je n’ai pas la prétention de traiter en 3 épisodes de quelques minutes le problème du renseignement dans son ensemble…

Je vais tout simplement vous faire part de mes rencontres avec le renseignement écrit avec un petit « r » et un grand « R ».

Commençons par le premier épisode qui va vous rajeunir.

Noël 1966 et 1er de l’an 1967 je suis en mission dans un petit village des Deux Sèvres, La Mothe St Heray où je dois surveiller un polynésien assigné à résidence.
Je ne sais pas ce qu’il avait fait pour mériter cette sanction pénale mais je dois m’assurer qu’il ne sort pas de l’institution religieuse où il est hébergé et qu’il ne reçoit pas d’amis. Ma chambre est à côté de la sienne, comme il est très âgé, lorsqu’il se lève la nuit pour aller aux toilettes, je dois ouvrir un œil prêt à le secourir au cas où il tomberait dans la cuvette des WC. !!!!
J’étais alors affecté à la Sûreté Urbaine de Caen depuis plusieurs années.
Comme j’étais le plus jeune du service (j’étais d’ailleurs le plus jeune Officier de Police Adjoint de France, la majorité à l’époque était à 21 ans et j’avais eu une dispense par passer le concours) c’est donc à moi que revenait cette mission. Personne n’avait envie de passer les fêtes hors de chez soi.
Je n’avais pas le choix.
Le commissaire principal chef des Renseignements Généraux des Deux Sèvres responsable de cette opération, me rend souvent visite pour savoir si tout se passe bien.
La mission n’était pas très astreignante et j’avais beaucoup de temps de libre.
Il constate qu’à chacune de ses visites je potassais pour préparer le concours de commissaire.
Il me dit « j’ai un poste d’OPA de libre à Niort et si vous acceptez cette mutation, vous aurez tout le loisir pour préparer votre concours»

Cette offre m’intéresse et j’obtiens ma mutation pour les RG de Niort.
Le patron me fait un rapide topo sur les RG et me confirme sa proposition.
Vous aurez deux missions :
« La première est totalement ILLEGALE. » Je ne savais pas que le police faisait des choses illégales, mais j’étais si jeune et candide…
« Nous avons mis sur écoute l’ UD CGT et la cellule du Parti Communiste de Niort. Trois matinées par semaine vous enregistrerez ce qu’ils se disent.
Mais surtout n’en parlez à personne. »
J’écoutais attentivement dans une salle très discrète du service et transcrivais fidèlement les propos tenus qui me paraissaient sans aucun intérêt.
Un jour le patron me dit « vous m’avez transmis une pépite » Ah ? laquelle ? « Vous avec interceptez une conversation au cours de laquelle le responsable du PC à dit que le parti communiste des Deux-Sèvres était plutôt pro-soviétique que pro -chinois. C’est très intéressant… » Ah bon ? Je n’en voyais pas l’intérêt, qui cela pouvait-il intéresser ??? Mais puisque le patron était content je l’étais aussi…

La 2ème mission consiste à suivre un individu qui vient environ chaque mois, par le train. « Vous le suivez, vous me rendez compte. Qui il rencontre où il va. »

Le jour dit, je suis à la gare de Niort je vois descendre un individu qui correspond au signalement donné. Pas très grand, portant chapeau.
Il est accueilli par une jolie femme, monte dans sa voiture. Je les suis, je note le numéro d’immatriculation et l’adresse où ils se rendent, un village dans les environs de Niort.
Au retour, je rends compte au Commissaire Principal qui me remercie.
« Monsieur, qui est cet homme que j’ai suivi ? ». Il me répond « c’est le président de la FGDS. »
« C’est quoi la FGDS ??? ». « La Fédération de la Gauche Démocrate et Socialiste » me répond le patron surpris par tant d’ignorance.
« Cet homme peut avoir des responsabilités importantes à l’avenir et il vaut mieux connaître tout de lui. »

Cet homme, vous l’avez deviné, c’était François Mitterrand.

Moi qui me voyais déjà en James Bond de l’ère moderne, j’étais un petit OPA d’un département rural, qui avait identifié une des nombreuses « femmes » de celui qui fut notre président pendant 14 ans. Excusez du peu.

Ce sont mes premières rencontres avec le renseignement (avec un petit r).

Ayant été reçu au concours de commissaire de police, à la sortie de l’École Nationale Supérieure de St Cyr au Mont d’Or, je suis successivement affecté à la sûreté urbaine d’Amiens puis chef de la circonscription de sécurité publique de Carmaux, puis directeur des études à l’école de police de Toulouse chargé des cours de droit pénal général, procédure pénale et libertés publiques, puis directeur départemental des polices urbaines du lot (DDPU à Cahors-commissaire principal), puis chef de la sûreté urbaine de Bordeaux (l’une des plus importantes de France après celle de Lyon), puis directeur de cabinet du préfet de police en Corse et en 1990 je suis nommé Directeur Départemental des Polices Urbaines (DDPU) de la Haute-Garonne, Commissaire Central de Toulouse, ma ville…

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En 1992, intervient une réforme qui devait être la plus importante réforme de la Police Nationale depuis la dernière guerre. Napoléon. C’est ainsi qu’on me l’a présentée 1.
On confie au DDPN (Directeur Départemental de la Police Nationale), non seulement les Polices Urbaines, mais aussi la PAF (Police aux Frontières) et les RG (Renseignements Généraux), nous y revoilà.
Toulouse est choisie comme ville expérimentale (ce qui était souvent le cas) et je suis chargé de conduire cette réforme1 . J’en mesure toute l’importance. De DDPU je deviens DDPN. Une espèce de Préfet de Police (tableau de la Dépêche du 2 avril 1992). Seule la PJ échappait à mon autorité.

C’est le directeur de cabinet du Préfet de Région qui faisait la gueule. Il n’avait plus de raison d’exister.

Je convoque le patron des RG que je connaissais bien. Nous avions travaillé ensemble contre le terrorisme basque lorsqu’il était chef de la BORG à Bordeaux et moi chef de la Sûreté urbaine. (J’aurais peut être l’occasion de vous parler de mes rencontres avec le terrorisme basque et corse…. si cela vous intéresse et si vous êtes sages).

Nous, en Sécurité Publique, nous avons le nez dans le guidon et il y a un phénomène que nous avons du mal à maîtriser, c’est celui des VIOLENCES URBAINES. Il y avait plusieurs centaines de voitures brûlées à Toulouse chaque année.
Nous arrêtons des individus et ils sont aussitôt relâchés ou condamnés à des TIG qu’ils n’exécutent jamais.
Il faut dire qu’à cette époque la magistrature toulousaine était noyautée par le très gauchiste Syndicat de la Magistrature qui ne facilitait pas notre travail. (mais ça c’est une autre histoire). Le Procureur de la république m’avait dit : « Constituez des dossiers solides et les magistrats même les plus laxistes seront bien obligés de prononcer des peines dissuasives sinon le parquet fera toujours appel».
J’ai donc dit à mon collègue :
« Toi tu as des effectifs, ils vont arrêter de faire des mots croisés, on va travailler différemment. Vous allez louer un appartement à Bellefontaine avec vue sur un point de deal bien connu. De notre côté, on va équiper un fourgon de police avec pneus increvables, grilles aux vitres. On va s’approcher du point de deal notamment la nuit, on va être caillassé. Tu filmeras la scène et nous aussi depuis le fourgon (on avait installé une camera à vision nocturne) et on va constituer des albums qui montreront la dangerosité de nos agresseurs.
On a donc identifié une bande de multirécidivistes et parmi les meneurs on a ciblé un jeune de Bagatelle qu’on appellera Mehdi.
On s’est aperçu très rapidement que ce jeune fréquentait des individus bizarres, habillés d’un genre de soutane blanche, portant barbe bien taillée. Ces types méconnus jusqu’alors fréquentaient les marchés, notamment de Bellefontaine et ils ont entraîné notre cible à la mosquée TABAR à Bagatelle.
On a infiltré cette mosquée et on entendu l’Imam dire : « Soyez fiers d’être musulmans, vous ne serez jamais de vrais Français, pourrissez la jeunesse française, ne vous droguez pas. Bientôt on sera au commande par le ventre de nos femmes. ALLAH AKBAR ! » Ces paroles paraissent banales aujourd’hui, maintes fois entendues depuis, mais dans les années 1995 ce langage nous était inconnu.
En continuant à filocher Mehdi on s’aperçoit qu’il se rend fréquemment (avec des copains identifiés également) dans une communauté ariégeoise à ARTIGAT, tenue par celui que l’on a appelé par la suite l’émir Blanc Olivier Corel, inconnu à cette époque. Ces jeunes étaient envoyés ensuite dans des madresas au Pakistan et on les retrouvait en Afghanistan dans les rangs de talibans.

C’est la filière suivie ensuite par les frères MERAH, les frères CLAIN…Sabri ESSID, Imab DJEBALI…Mohamed MEGHERBI et bien d’autres…
Nous avons beaucoup écrit sur les fondamentalistes, sur les Frères Musulmans, sur ENNADHA, on ne connaissait pas encore DAECH- BOKO ARAM- MORABITOUM- Ben LADEN et consorts. On peut dire que le radicalisme est né en grande partie à Toulouse à la fin du siècle dernier.
On a même vu sur une vidéo un élève du lycée des Arènes égorger un Israélien, pensant qu’il faisait partie du Mossad.
J’ai d’ailleurs été invité à présenter notre dispositif et à soutenir cette thèse. devant le ministre de l’intérieur Jean-Pierre Chevènement en présence des 96 préfets des départements et des 96 DDPN.
Après avoir été nommé Contrôleur Général, car la mayonnaise avait bien pris à Toulouse. (C’était la seule ville de France de plus de 100 000 habitants où la criminalité avait baissé 3 ans de suite, sans chastiquer les chiffres) On ne pouvait pas dire la même chose ailleurs. Intervient alors la cohabitation et avec Pasqua…….exit la DDPN…..
Je suis devenue DDSP. (Directeur Départemental de la Sécurité Publique.
Après DDPU puis DDPN-enfin DDSP j’étais toujours resté Dédé.

En 1999, je suis invité à terminer ma carrière à l’Inspection Générale et j’ai perdu un peu de vue la situation toulousaine.

En 2022 de retour à Toulouse que je n’avais jamais quittée en réalité, je deviens Juge de Proximité. De nouveau dans le milieu judiciaire, je reprends contact avec mes anciens collègues et notamment avec le patron des RG qui deviendra la DGSI en 2008 avec la fusion avec Direction de la Surveillance du Territoire, mon ami Christian Ballé ANDUY.
Les choses ont bien changé les jeunes ne sont pas recrutés dans les mosquées désormais surveillés mais sur internet et sur les réseaux sociaux et font maintenant le djihad en Irak et en Syrie. Le salafisme a fait son funeste chemin.

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11 MARS 2012 IMAD ZIATEN est assassiné à Toulouse alors qu’il voulait vendre sa moto

15 MARS 2012 2 militaires sont assassinés à Montauban Mohamed LEGOUAD 23 ans et Abel CHENNOUF 26 ans . Loïc LIBER est blessé très grièvement. Il est tétraplégique.

Le 19 mars c’est la tragédie d’OZAR HATORAHA
Gabriel 4 ans, Arié 5 ans leur grand père Jonathan SANDLER et Myriam MONSONEGRO sont assassinés dans les conditions que vous connaissez. Brian BIJAOUI 15 ans est grièvement blessé.

Après la tuerie de Montauban la procureur de Montauban réunit la section anti terrorisme de la PJ Toulouse et Bordeaux et la section antiterroriste de la DCPJ pour visionner la vidéo. Christian BALLE ANDUY demande à participer à cette réunion.. La procureur refuse car il n’est pas habilité.
Tout OPJ pour exercer des missions de police judiciaire doit être habilité par le Procureur Général.
Pour échapper à la surveillance, au contrôle et à la direction de l’autorité judiciaire, les OPJ qui ne font que du renseignement, ne sollicitent pas cette habilitation, c’est le cas de Christian.
Les participants à cette réunion ne reconnaissent pas le tueur.

Le 21 mars Christian BALLE ANDUY voit cette vidéo et LUI reconnaît Mohamed Mérah. Il le suit depuis plusieurs années avec un officier traitant. Il a toujours soutenu que ce n’était pas un loup solitaire contrairement à la thèse de sa direction centrale. Il sait où il loge. S’il avait assisté à la réunion, il aurait reconnu Mohamed Mérah, ils seraient allés l’arrêter et la tuerie d’OZAR HATORAH n’aurait pas eu lieu.

Quand il m’apprend cela, mon sang s’est glacé. Il me dit surtout : «N’en parle à personne il n’y a que Manuel VALLS, Ministre de l’Intérieur à l’époque et le juge d’instruction qui sont au courant ».
J’ai donc gardé ce lourd secret jusqu’au procès d’Abdelkader MERAH (frère de Mohamed), en mars 2019.
Pour l’histoire : il a été condamné à 30 ans de Réclusion Criminelle par la Cour d’Assises Spéciale. Il avait été condamné en première instance à 20 ans et très bien défendu par un grand et talentueux avocat, notre garde des sceaux Dupont Moretti, il a pris 10 ans de plus en appel 2.

Donc, Balle Anduy a témoigné pendant 5 heures devant la cour d’Assises Spéciale d’Appel et il a déballé toute l’histoire mettant en cause sa direction centrale, ce qui lui a valu d’être mis à la retraite anticipée et à l’officier traitant d’être muté en Nouvelle Calédonie.
Les médias se sont fait l’écho de son témoignage et cet homme de l’ombre a été mis en lumière avec une page entière dans la Dépêche (29 mars 2019) avec sa photo. Un membre de la communauté juive de Toulouse que je connais bien depuis que mes parents ont reçu la médaille de YAD VASHEM « Justes parmi les Justes de la nation » a assisté à sa déposition. Il en est sorti bouleversé.

Par la suite, j’ai demandé à Christian qui vit au Pays basque de venir témoigner devant mes élèves de 3ème année de licence en droit de l’Institut catholique et devant mes amis de mon club Lion.
Il me répond chaque fois : « Je n’arrive pas à libérer ma conscience de cette affaire et pour tenter d’oublier je fais de la méditation transcendantale ».

Merci de m’avoir écouté.

1 C’est amusant, car 30 ans après, cette réforme redevient d’actualité avec l’intention d’y inclure cette fois la PJ. J’ai été interviewé à ce sujet par un journaliste de la Dépêche (article du 24 octobre 2022 où je disais que la DDPN était une excellente réforme mais que la PJ ne devait pas en faire partie et qu’elle devait conserver sa spécificité).

2 Je crois savoir que dans sa cellule lorsque Abdelkader Merah fait ses 5 prières et qu’il invoque son avocat, il l’appelle « Ducon Moretti », mais je ne suis pas sûr de ma source!