Séance solennelle du Sénat
28 Novembre 2023-10-29
Remerciements d’André-Jérôme GALLEGO (13ième fauteuil)
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Au nom de tous les Miens…
Ne jamais oublier d’où l’on vient !
Pour la plupart, ils étaient d’origine étrangère, mais combien de fois ils avaient traversés la Méditerranée pour venir défendre le pays dont ils rêvaient. Oui, rêver d’avoir un jour leurs « papiers français », comme ils aimaient à le dire.
Un jour, en Afrique du nord, le Continent de leurs origines, où ils avaient connu gloire et fortune. Ils pensaient même avoir bâti des fondations éternelles, qu’ils ne pouvaient que transmettre à leurs lignées. Jamais ils n’auraient pensés devoir, un jour, tout abandonner, devoir partir à la hâte, avec seulement quelques valises. Prendre le bateau qui les fera toucher définitivement le Continent européen, devoir tout recommencer ailleurs.
L’accueil ne sera pas chaleureux, l’Homme a la mémoire courte. Mais ils ne s’en plaindront jamais… Chez eux,la valeur d’un homme, ne se mesurait pas au nombre de fois qu’il était tombé. Mais à la vitesse à laquelle il s’était relevé.
On habitait le nouveau quartier de Toulouse, baptisé : Bagatelle. Les immeubles, sans ascenseurs avaient quatre étages et les appartements étaient luxueux et grands.
On n’était pas riche…
Mais on était heureux de vivre.
Il n’y avait jamais de gagnant à la triche.
Ô mon Dieu qu’est-ce qu’on s’aimait.
Qu’est-ce qu’on aimait la vie, rire, se taquiner.
On avait pour prénom Daniel, Driss, Lissandro, Joseph, Simon, Nessim, Pascal, Ernest, Joachim, André, Raphaël, Paul, Miguel, Elie, Felipe, Djamel, Jean, Jérôme, Isaac, Joâo, Yaël, Cristiano, Farid, Diego…
On les courtisait, les Rachel, Angèle, Laura, Sylvie, Alicia, Judith, Laurence, Salomé, Rebecca, Sarah, Martine, Isabel, Tatiana, Malika, Danielle, Ariella, Déborah, Chantale, Aïda, Célia, Joana, Karima, Paloma…
Mais, entre-nous, il ne se passait jamais rien, car elles nous boudaient et surtout, elles ambitionnaient de ne fréquenter que des gars qui n’étaient pas de notre quartier, au standing plus élevé.Des gars qui ont de la « classe », comme elles nous le disaient, par provocation.
Pourtant, il ne fallait pas nous toucher, car sinon, toutes ces lionnes, sortaient leurs griffes, et faisaient face à nos adversaires. La réciproque était au moins, aussi forte.
Nos parents, eux, ils étaient là pour nous montrer l’exemple, comme ils nous le répétaient. Chez eux pas de chômage, quand ils manquaient de travail, ils faisaient, quand même, mine d’aller assumer leurs tâches quotidiennes. Il ne fallait surtout pas que le voisin s’en rende compte, ça aurait fait mauvais genre.C’était le temps des 60 heures et plus. Sans jamais se plaindre, ils étaient les premiers à s’engager pour des heures supplémentaires. Car elles garantissaient des fins de mois, plus légères.
On n’était pas riche…
Mais on était heureux de vivre.
Alors, on disait que l’argent, on s’en fiche.
Oui, l’argent qu’est-ce que c’est ?
Nos jeux étaient simples, pas de terrains de foot, pas de gymnase, de dojo, pas de maillots, ou de chaussures aux marques prestigieuses. Seulement, le parking des voitures, la rue, le trottoir, étaient nos seuls terrains de jeux. Avec, pour suprême interdiction, de ne jamais faire rebondir le ballon contre le mur de l’immeuble. Sinon, c’était la sanction, infligée par le concierge. Plus, il recevait le soutien de nos parents voire les recommandations pour ne rien nous laisser passer. Nous éduquer à la vie était leur règle première, comme ils nous le rappelaient, trop souvent à notre goût. Mais aujourd’hui, on se doit d’admettre qu’ils avaient raison.
On s’était inventé un jeu, à nous, le ‘’Pikchak’’. Une chambre à air, découpée en rondelles, rassemblées par une ficelle. Elle nous servait de « pelote à jongler », jusqu’au but, et à marquer, sans qu’elle ne touche le sol.
Au football, on rêvait de devenir les Fontaine, Kopa, Piantoni, Ben’Barek, Pelé, Di Stefano, Puskas… Nous étions les meilleurs et l’on gagnait quasiment tous les tournois de la région. Mais les trophées, il fallait les cacher sous le lit, car nos parents nous croyaient à réviser nos devoirs, chez un complice.
L’été, il fallait aller travailler, pour en comprendre la rudesse et nous encourager à mieux écouter en classe, disaient nos mères qui nous préparaient toujours un large goûter. Il fallait que leurs enfants ne manquent de rien. Tant pis si eux, nos parents, se privaient de beaucoup de choses.
Nous avions entre 13 et 14 ans, et notre usine, « Les Biscottes Paré », était installée dans le quartier voisin. Elle était renommée pour sa fabrication de biscottes, mais pas seulement, des gâteaux aussi, des biscuits secs. Voilà 60 ans, elle a même créé le « Bichoco », mis sous emballage individuel, et dédié aux écoliers. Une magnifique entreprise, avant-gardiste, pleine d’ambition. Elle existe toujours.
Accompagné, de mes copains, le trajet, depuis la maison, se faisait à pied ? Car, en ce temps-là, nos parents savaient les rues des plus sécurisées. Nos horaires de travail, nous faisaient pourtant commencer, à 4h pour finir à 13h, avec une pause offerte par l’entreprise à 10h.
On n’était pas riche…
Mais on était heureux de vivre.
Alors, on disait que l’argent on s’en fiche.
Oui, l’argent qu’est-ce que c’est ?
Il n’y avait jamais de gagnant à la triche.
Ô mon Dieu qu’est-ce qu’on s’aimait.
Qu’est-ce qu’on aimait la vie, rire, se taquiner.
Comme de logique, c’était l’occasion pour ses dirigeants, de nous proposer les produits créés dans l’usine même. Premier public, pour goûter les nouveautés, les surprises qui étaient acclamées, jamais aucun refus.J’en mangeais peu, car je préférais réserver ma part à mon petit frère et à mes sœurs qui, comme on l’imagine, chaque jour, attendaient, mon retour avec impatience.
Avec le temps, l’usine était devenue, pour nous, un terrain de jeu, qui nous imposait le challenge de chercher à battre tous les records de production… de nos aînés. Quel qu’en soit l’endroit, les circonstances, il fallait que l’on soit toujours les meilleurs, une promesse faite, à nos parents.Oui, il y avait d’écrit en nous, les enfants de là-bas, un défi, à relever coûte que coûte, notre marque de fabrique, notre label, jusqu’au dernier jour, la fierté de ce que nous étions, défendre nos racines, notre nom, la France, fiers d’être Français.
Nos Mères partageaient leurs recettes de cuisine, et nous étions aux premières loges pour tout goûter, et critiquer, car le jeu était aussi, là. Les Jours de fêtes, des uns ou des autres, on ne faisait pas de différences entre Noël, Pessah, Epiphanies, Roch Hachana Pâques, Hanoukkah, Pentecôte, Ramadan. Pourim, Yom Kippour, l’Aïd al-kabîr, Hégire, Ashura… Seuls comptaient les délices des pâtisseries et les cadeaux, à partager, les plats aussi.
Chaque famille, malgré les difficultés quotidiennes, tenait à tout partager, marquer le jour. Comme un devoir, c’était inscrit dans la culture de chacun, une forme de respect de l’autre. Mais surtout une promesse faite au Très-haut. Dieu nous le rendra, disaient-ils, nos parents.Je leur dois ce que je suis !
Ils n’étaient pas riches…
Mais heureux de vivre.
Alors, ils disaient l’argent, on s’en fiche.
Oui, l’argent qu’est-ce que c’est ?
Chez eux, il n’y avait jamais de gagnant à la triche.
Ô mon Dieu qu’est-ce qu’ils s’aimaient.
Qu’est-ce qu’ils aimaient la vie…
Ils gardaient toujours, foi en demain…
La France était leur richesse à transmettre, à défendre.
Chez nous,
on ne mesure pas la valeur d’un homme,
au nombre de fois qu’il est tombé.
Mais à la vitesse, à laquelle, il s’est relevé.
Un dernier mot, à l’intention des Instituteurs,
des Professeurs, des Chefs d’entreprises,
des Amis, qui ont tout fait, parfois sacrifié aussi,
pour que je devienne aujourd’hui, ce que je suis.
Il n’y a quasiment pas un jour, qui me voit,
ne pas penser à eux, prier même…