Communication : « La poésie de Lotte Kramer »
par Nathalie Vincent-Arnaud (Membre associée)
Lotte Kramer, poète britannique d’origine allemande et juive, née Lotte Wertheimer à Mayence en 1923, s’inscrit dans la lignée de ces figures littéraires qui portent en elles la mémoire des remous d’une partie de l’Histoire du XXe siècle et des douleurs engendrées par celle-ci. Son parcours existentiel et artistique s’est édifié sur l’expérience du Kindertransport, système d’acheminement des enfants juifs d’Allemagne en Angleterre au début de la Seconde Guerre mondiale afin de leur permettre d’échapper aux exactions nazies et au destin funeste qui les attendait. Trouvant refuge dans des familles d’accueil, obligés de délaisser leur langue maternelle au profit de l’anglais, ces enfants ont enduré une fracture familiale et identitaire dont les résonances sont encore très fortes comme l’attestent les écrits, pour l’essentiel autobiographiques ou poétiques, de plusieurs auteurs eux-mêmes issus du kindertransport et installés au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Cet épisode particulièrement traumatique de la Seconde Guerre mondiale, auquel la dramaturge britannique Diane Samuels a consacré dans les années 1990 une pièce intitulée Kindertransport, est peu connu en France malgré la magistrale traduction française du roman Austerlitz de l’écrivain Winfried Georg Sebald en 2001. À travers un long processus d’anamnèse qui est celui du personnage principal, ce roman de Sebald met en scène cette « tentation du silence » (expression de George Steiner dans son ouvrage Language and Silence) à laquelle toute parole émergeant de l’horreur est exposée.
N’ayant jamais quitté l’Angleterre depuis son arrivée par le Kindertransport, tout d’abord peintre puis poète, ayant choisi l’anglais comme unique langue d’écriture, Lotte Kamer est l’auteur de plusieurs recueils rassemblés depuis en un seul volume, More New and Collected Poems (paru chez Rockingham Press en 2015), largement consacré au questionnement identitaire et au retour mémoriel aux origines. Jusqu’aux années soixante, le langage artistique de Lotte Kramer fut la peinture à travers de nombreux tableaux, natures et paysages. La venue à la poésie marqua pour elle la sortie du silence comme elle l’évoque notamment dans son poème « The Cry » (« Le Cri »).
Le caractère salvateur et donc nécessaire de l’écriture se nourrit de la relation intime que l’auteur entretient avec la peinture mais aussi avec la musique, deux arts abondamment représentés dans sa poésie aux côtés des voix et des figures du passé qui refont surface. Les aspects visuel, sonore, rythmique des poèmes rappellent à tous moments cette incorporation de ces langages artistiques qui offre un exutoire à une intériorité habitée tout à la fois par la mémoire du passé et par la jouissance d’un présent dont la poète sait goûter les saveurs. Les poèmes sont le témoignage d’une errance entre deux mondes, deux langues, deux cultures qui ont forgé l’identité, comme en témoigne notamment le poème « Bilingual » (« Bilingue »), riche d’images s’y rapportant.
À travers ma traduction française de 60 poèmes – l’œuvre complète en comptant plus de 400 – j’ai tenté d’en retrouver la petite musique intérieure, immanente, celle qui, au-delà des singularités de chaque idiome, fait entendre un rythme, un élan, une voix, fait surgir des images et des fulgurances. Tous ces éléments définissent une manière d’être au monde et de partager une expérience humaine fondatrice.
Voici les liens vers le site et la page Facebook d’Interstices d’éditions où cette traduction est parue : https://www.interstices-editions.fr/ ; https://www.facebook.com/people/Interstices-%C3%89ditions/100070156417713/?locale=ms_MY&_rdr).
Comme me l’a précisé Géraldine Schwarz, autrice de l’essai Les Amnésiques (2017) dans lequel Lotte Kramer et une partie de sa famille sont évoqués, le Mémorial du Camp des Milles à Aix-en-Provence a retracé le parcours de quelques familles juives allemandes ayant été internées aux Milles après avoir fui l’Allemagne nazie, dont la famille Wertheimer/Löbmann. Leur parcours ainsi que des photos se trouvent sur une grande stèle à l’extérieur.
Note biographique
Née à Toulouse, j’ai grandi à Cahors, j’ai fait des études littéraires à Toulouse et à Montpellier et suis devenue enseignante-chercheuse en études du monde anglophone à l’Université Toulouse-Jean Jaurès où mes domaines de spécialité sont la stylistique, la traduction, ainsi que les relations entre musique, danse et littérature. Je suis également traductrice.
J’écris de la poésie depuis mon adolescence. Éprise des langues, de la littérature, je le suis aussi tout particulièrement de la musique et de la danse, que je pratique en amateur et qui influencent beaucoup mon écriture. Deux recueils de poèmes, Clés d’août (2020) et Déchants (2023) ont été publiés chez Interstices éditions et d’autres recueils sont en préparation. Mes poèmes ont été primés lors de plusieurs concours (Académie des Jeux Floraux, Société des Poètes Français, Prix de Poésie Thomas Sankara, Académie du Languedoc…).
Dans le domaine de la recherche universitaire, j’ai écrit une soixantaine d’articles et chapitres d’ouvrages, dirigé ou co-dirigé une vingtaine d’ouvrages et de numéros de revues. Je suis également co-autrice de deux ouvrages pédagogiques. Je dirige la collection Amphi 7 aux Presses Universitaires du Midi. Je fais partie du comité éditorial ou du comité scientifique de plusieurs revues universitaires.
J’ai traduit de nombreux poèmes ainsi que des essais sur la poésie, le style, le langage, la musique, parus dans des ouvrages et des revues universitaires. J’ai également traduit les ouvrages suivants :
. Kennaway, James, Mauvaises vibrations, ou la musique comme source de maladie : histoire d’une idée, Limoges, Lambert-Lucas, 2016, 240 pages.
. Joseph, John E., Saussure, Limoges, Lambert-Lucas, 2021, 808 pages.
. Poèmes choisis de Lotte Kramer, Bon-Encontre, Interstices éditions, 2024, 90 pages.