Carles DIAZ, Prix de poésie Bernard BLANCOTTE

Présentation de Carles DIAZ 
Prix de poésie Bernard BLANCOTTE de l’Académie du Languedoc

pour son recueil de poésie « POLYPHONIE LANDAISE »

Présentation par Maryse CARRIER 52ème fauteuil
(11 mars 2023) 

 Monsieur le Secrétaire perpétuel et Monsieur le Président de l’Académie du Languedoc, Mesdames et Messieurs les Académiciens et Membres associés, Mesdames et Messieurs, chers amis…

            – Première surprise : les Editions Gallimard ont adressé un jour à l’Académie du Languedoc le recueil de poésie de Carles Diaz, intitulé « Polyphonie landaise », pour nous faire découvrir à la fois une œuvre et un poète d’exception, un poète franco-chilien d’expression française, né le 23 septembre 1978 à Providencia, située dans la banlieue Est de Santiago du Chili.

            – Deuxième surprise : Après de brillantes études au Chili il obtiendra le titre de docteur en histoire de l’art à l’université… de Bordeaux. Puis renonçant à l’enseignement, il occupe depuis 2018 la fonction d’attaché parlementaire, chargé des dossiers liés à l’éducation, à la culture, au patrimoine ainsi qu’à la vie associative et au sport. Vaste programme !

         D’autre part Carles Diaz très attaché à la culture occitane, est un membre actif de « l’Ostau occitan », et a même publié en 2019 un ouvrage bilingue Français/Oc, intitulé « Sus la talvera », plusieurs fois récompensé, car notre poète et historien de l’art est très investi dans le domaine de la protection patrimoniale des langues et de leur promotion.

         – Carles Diaz, vous résidez actuellement à Bordeaux dans le département de la Gironde, limitrophe du département des Landes, dont la géographie est très éloignée de celle de votre Chili natal !

         Et voici que ce « somptueux paysage » des Landes de Gascogne (comme vous le désignez) va exercer sur vous une irrépressible fascination que vous allez transcrire dans cet étonnant diptyque, intitulé « Paratge » complété par  « Polyphonie landaise », aux textes magnifiés par une langue choisie, mais complexe  car riche en symboles et métaphores !                                                                                   

Commençons par « Polyphonie landaise », composée de 26 textes rédigés dans une prose lyrique et sobre. Convaincu de l’existence de « multiples réalités supérieures et d’une langue de haute portée reliée à l’insaisissable qui donne les clés du monde », vous avez éprouvé « l’envie de passer de l’autre côté du miroir » pour définir tous les éléments : les forêts de pins (avant le désastre de 2022), leur parfum, le vent, le sable, la végétation, les sources, la dune, les pierres, du feu visible ou invisible…. »  Car ce sont bien tous ces éléments perceptibles et imagés qui caractérisent ce paysage, cette réalité, ce terroir des Landes, en sorte que, défiant le temps, « la beauté insigne des éléments s’arrache à l’oubli ».

         Dès le premier texte, le poète nous prévient en ces termes : « La tempête qui se prépare répandra le souvenir des cendres dispersées sur ces terres… »

        Le thème le plus récurrent étant celui de la lande (comment pourrait-il en être autrement ?), Carles Diaz, chantant le paysage qui échappe à toute temporalité,  nous la présente comme « Eternellement… pareille à elle-même »… « Elle s’enfuit, s’efface et revient embrasser un pays dépecé par la lumière ».

      Précisons que la lumière avec ses variations est omniprésente dans votre recueil : « Comme un mirage errant sur l’abreuvoir, reflétons la carrière du soleil qui darde ses flèches sur l’épi ! Perdons-nous pour ensuite aller à sa rencontre, l’accueillir et célébrer son lumineux retour ».

        Mais « dans le piège de la lumière », c’est aussi « le silence (quasi sacré pour vous)  qui est en embuscade », avec « le souvenir des ravines asséchées… des mélopées abandonnées et des mots inaudibles que je voudrais libérer de la poussière pour les accorder à la clarté indomptée de l’aube », dites-vous.

        Car le rapport au paysage n’est-il pas conditionné par le silence, l’observation, la concentration, sachant qu’il ne s’agit pas d’une contemplation passive, mais plutôt holistique, et que « la prétendue monotonie du paysage est fausse et obsolète ».

D’autre part la réalité des Landes, réservoir dynamique d’une mémoire, s’est forgée sur différentes strates, historiques, culturelles :

         Tantôt c’est une muleta qui doit triompher : «  Le taureau meurt fier comme le soldat à la poitrine offerte, fauché sur un champ de trèfles ; il meurt terrassé par l’ange aux brocarts de soie, fidèle au nom de ce dieu créé par lui-même à partir de la roche ».

       Tantôt le poète « …cherchant la beauté des grands espaces… dans les champs… » nous dit : « Ces croix de station au bord des chemins rappellent le souvenir d’un mystère errant… je vois un cortège de bannières à l’étoffe ancienne… et les souvenirs d’une beauté nouvelle viennent se confondre avec les écheveaux du temps volé. Elles sont portées par des jeunes gens recueillis, ralliés par l’amour de l’homme et l’entente avec l’invisible ».

Ainsi la réalité des Landes, combattant l’inachevé et la disparition, acquiert une puissance susceptible d’être universelle, voire universalisée.

   – Dans son prolongement, le deuxième volet de ce diptyque s’intitule « Paratge », vocable intraduisible de l’ancien occitan, que l’on retrouve  dans  la « Chanson de la Croisade contre les Albigeois ». Or les 35 poèmes en vers libres de « Paratge » abordent la question de la recherche d’une « noblesse d’âme », si chère aux troubadours occitans, qui ont célébré l’amour, l’honneur, la droiture mais également le  respect  de la personne humaine dans toute sa dimension.

          Ce respect quasi-sacré était d’ailleurs présent lui aussi dans l’autre partie, « Polyphonie », avec l’évocation du roi des Landes, le  pin, qui vous inspire même  de la compassion car avec : « Une entaille au flanc, les larmes de résine filent le long de son tronc ». Mais cet arbre, c’est aussi cette « feuille sur laquelle vous écrivez », or cette feuille ne vient-elle pas de l’agonie d’un de ces arbres ? »

En fait un subtil va et vient s’établit entre les 2 parties de ce diptyque, sans oublier que votre recueil fait fi de la temporalité.

            – Je terminerai en rappelant le titre « Polyphonie », qui en littérature désigne une technique narrative dans laquelle l’auteur superpose plusieurs thèmes qui se font écho selon des règles contrapuntiques. Or le maître du contrepoint en musique Jean-Sébastien Bach n’a-t-il pas repris une technique développée dès le Moyen Âge, qui a  vu fleurir toute une culture où poésie et musique étaient intimement liées pour constituer un art unique ? C‘est ainsi que le diptyque « Polyphonie landaise »/ « Paratge », (ce dernier faisant référence aux troubadours) mérite amplement le qualificatif d’art total.

           Je précise que dans ce recueil comme dans tous les autres, Carles Diaz nous invite à observer la réalité autrement, réaffirmant sans cesse des valeurs inaliénables, intemporelles, humanistes, si chères aux troubadours ; et j’ajouterai que notre poète est surtout animé de la profonde conviction que le poème est le moyen suprême non seulement d’observation du monde mais qu’il a aussi la noble vocation de le transformer dans « Un fracas de race rude/qui creuse dans le noir/pour en extraire la lumière », et aussi « pour entrer vivant dans la mort ».

                         

  Monsieur Carles Diaz, au nom de l‘Académie du Languedoc, je suis heureuse de vous offrir le prix Bernard Blancotte, écrivain et poète de Revel, président cofondateur de l’Académie du Languedoc durant l’année universitaire 1964-1965.

 

Réponse de M. Carles DIAZ

Toulouse, le 11 mars 2023

Monsieur le Secrétaire perpétuel et Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres de l’Académie des arts, lettres et sciences de Languedoc,

Toute création artistique est un exercice en miroir, une émanation de la vie. Je conçois l’écriture comme un médium, comme une transparence et dans cette transparence la parole est à la fois un lieu, une force et une promesse. Quand la poésie refuse d’être un ornement et s’adresse à quelqu’un, dépouillée du bavardage, de la complaisance et de la vanité, elle est tout à fait multiple, intemporelle et capable d’éveiller une volonté, de renverser le réel, de convoquer la nature sensible de l’humain et son devenir, de parler au présent et susciter un lien possible.

La profondeur de la parole est un défi, une mise à l’épreuve permanente, car il s’agit d’une condition. Elle demande à l’écrivain de saisir et d’affronter la réalité avec sa part de lumière et de ténèbres ; de vivre dans le monde, avec le monde, de concilier réflexion et sensibilité, imagination et travail. Écrire demande de vivre au bord d’un abîme, d’avoir une constellation dans le cœur, une source d’eau vive dans l’esprit et une brûlure d’amour dans la chair.

Parce que quand on écrit, on le fait avec la foi du naufragé sous la tempête, avec l’ardeur d’un visionnaire, avec le courage d’un héros face à l’épreuve, avec la force de l’agriculteur labourant le champ avec son attelage, avec la persévérance d’un vigneron qui prend soins de sa vigne, avec la patience d’un boulanger dans son fournil et avec la minutie d’un tailleur de pierres.

Je veux dire par là que le fait poétique va de pair avec le souffle de l’esprit où qu’il se trouve ; qu’un poème se doit d’être un horizon renouvelé, un morceau de bravoure et un idéal en perpétuel mouvement. Telle est mon ambition et la quête permanente qui anime mon travail.

Je suis reconnaissant d’être ici ce soir, avec vous, et voudrais vous remercier de cette distinction que vous avez bien voulu m’attribuer.
Je me sens honoré. Je tiens à vous le dire sincèrement :  le Languedoc résonne dans ma tête comme une épopée lointaine, comme une patrie qui, plus qu’un imaginaire ou un découpage territorial, est un Esprit et un idéal. Rien qu’en écoutant sa langue et en regardant ses fortifications, j’y ressens l’héritage de la culture cathare, de la civilisation occitane et ses valeurs universelles, ses principes et aspirations irréductibles dont le Paratge est la formulation la plus nette. Ce Paratge du XIIe siècle qui n’a d’égal que la symbolique qu’il représente. Il concerne encore et toujours notre destinée d’humains. Le Paratge doit être notre étendard pour l’égalité entre les êtres humains et guider l’engagement essentiel qu’il faut pour donner dignité et sens à la vie.
Carles DIAZ
 
Le recueil de Carles DIAZ « POLYPHONIE LANDAISE » est édité par les éditions Gallimard dans la collection nrf.