L’inceste et le pardon

L’ Inceste et le Pardon.          

par Robert MOSNIER (21ème fauteuil)

  Nos sociétés jusque là aveugles découvrent le refoulé Criminel ! Cette acceptation libère l’esprit mais incline à la vengeance d’autant plus redoutable que la chape de plomb d’une complicité sociétale a couvert le déni, étouffé la parole des victimes et protégé leurs tortionnaires.

Le bien-fondé de cette délivrance se couvre de malédiction, incite au doute et inspire la trahison.

La dénonciation des crimes sexuels sur les mineurs dépasse notre imaginaire et ne trouve pas d’écho dans nos représentations mentales tant l’horreur persistante et la lâcheté de ceux qui auraient dû voir nous semblent inconcevables. Il en résulte incompréhension et dégoût.

Comment nous soustraire à de telles images! La tentation est de réduire le violeur à son acte, de vouloir qu’il disparaisse,  le rejet est tel que la condamnation unanime doit le poursuivre sa vie durant.

L’opprobre l’efface de toute vie en collectivité, le soupçon imprégnera durablement toute attitude, décision, orientation qu’il pourrait prendre!

Le remords serai-il sincère, prête à équivoque, la violence de l’acte maintient et pérennise le rejet.

Le déni ce voile marqué à peine levé sur les victimes, cette prétendue séduction de l’enfance trompée et trahie dans son amour envers ceux dont la mission est la protection, inflige à la victime une double peine, celle de devoir se taire et la culpabilité associée.

Le silence ordonné sur la parole de l’enfant, le refoulement subit, la mémoire du traumatisme enfoui engagent la perte de son estime, le doute permanent sur ses sentiments, leur ambivalence marquée du sceau de la complicité et de l’incomplétude.

L’enfant pétri dans un imaginaire fécond ne saurait être cru et si cela est, la responsabilité se retourne sur l’entourage, une épouse lointaine, une mère sourde, absente à la réalité de son enfant mais pis encore l’honneur de la famille élargie marqué du sceau de l’infamie.

Alors est signifié l’abandon, la victime coupable de l’éclatement de la famille, sa responsabilité devant sa misère programmée, ce déplacement, cette projection ignoble où le corps institutionnel, famille, profession comptent plus que la personne de l’enfant…

Le violeur tend à s’exonérer de sa responsabilité, de ses pulsions incontrôlées, prisonnier de sa propre histoire, des traumatismes et influences de sa propre enfance, des images où il se complait pour renforcer sa propre addiction.

Notre lâcheté collective basée sur la naïveté et notre absence de représentations mentales  de tels actes ont durablement influencé notre position, cette mise sous couvercle étanche pour étouffer la vérité.

Le pardon serait-il à terme envisageable après la sanction prononcée et vécue, la condamnation proclamée sans ambiguïté et la victime lavée de sa tâche et exonérée de toute    participation.

Le drame inscrit dans la longue durée perturbe la vie émotionnelle de toute une famille, compromet les choix de vie et la liberté confisquée interdit l’épanouissement de l’être…

L’entourage s’est tu. Les indices n’ont pas été explorés, la parole muette engage la responsabilité collective.

Le regard ne peut se détacher des apparences, comme figé dans une impossible rédemption, un doute qui meurtrit l’âme, appelle nos conduites d’évitement et cette dérobade envers ce qui ne nous regarde pas.

Dans cette poursuite sans fin d’un aveu qui ne dit mot, d’une reconstruction fragile et arbitraire, le pardon peut-il avoir une place vis à vis de ce crime de l’innocence? La sanction prononcée, la peine appliquée, la dignité de la victime recouvrée, sa souffrance exonérée d’une quelconque responsabilité reconnue, subsiste la condamnation morale, peut-elle un jour être levée?

L’agresseur  doit vivre l’effondrement de son système de défense, minimisant son acte ou le reportant à des pulsions incontrôlées, déplaçant sa responsabilité ou la relativisant au travers d’une histoire familiale traumatique. Sa souffrance s’effacera devant celle de sa victime qu’il ne peut plus nier, il passe par une phase de désespérance, seule voie vers la délivrance.

Recouvrer l’estime de soi au delà des multiples absences et abandons est un long et lent travail dont il est plus facile de se soustraire ou le mettre entre parenthèses mais nécessaire pour se réconcilier avec soi-même et retrouver un crédit à sa propre parole et celle des autres.

Ainsi l’inceste n’implique pas seulement deux êtres murés dans le secret, enfermés dans une absence de perspective, mais tout notre environnement!

L’actuelle demande de la société, dénonçant la lâcheté et l’hypocrisie, interpelle le législateur, impose une mise en garde et interdit toute compromission.

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