L’Entente cordiale

L’entente cordiale – France Angleterre de 1815 à nos jours.

par

Robert MOSNIER (21ème fauteuil)

            Depuis 1815 la lutte fratricide entre les deux nations a laissé place à une amitié non dépourvue  d’équivoque mais animée par des intérêts communs.

Peuple de marins, industrieux et commerçants dominant les mers les anglais, peuple d’agriculteurs  attachés à la richesse foncière, les français. Les deux pays sont complémentaires et ont cherché à fusionner, la dernière tentative avortée remonte à la débâcle de 1940 où Winston Churchill et Paul Raynaud envisageaient de rassembler les deux empires coloniaux dans leur lutte contre l’Allemagne nazie.

Mais revenons à cette nuit du 17 au 18 juin 1815.

L’orage gronde du côté du Mont Saint Jean à quelques lieux de Bruxelles. Des trombes d’eau s’abattent, le terrain est détrempé. Les hommes engoncés dans leurs uniformes se blottissent les uns contre les autres recherchant chaleur et réconfort, car demain le choc des titans va décider du sort de l’Europe.

Pendant ce temps à Bruxelles, au bal de la duchesse de Richmond, les jeunes officiers anglais dansent … Wellington, le chef de l’armée anglaise, les regarde avec tendresse et compassion, sanglés dans leur uniforme rouge. Combien d’entre eux baigneront dans leur sang, le lendemain. Il est 3 heures « Allons, Messieurs, dit le généralissime, rejoignez vos cantonnements ».

Le sol est boueux dans cette plaine ondulante et vallonnée où les charges des cuirassiers se brisent sur les carrés anglais.  Hougoumont, la Haye Sainte, la Belle Alliance, ces fermes transformées en redoutes seront prises et reprises.

Le soir tombe, l’armée anglaise est prête à s’effondrer quand survient l’armée prussienne mal poursuivie par les troupes de Grouchy qui n’a su marcher au canon.

C’est la panique, les Français refluent en désordre sur Genappe. La garde impériale meurt en protégeant la retraite ou plutôt la déroute. quatre jours plus tard ,le 22 juin Napoléon abdique pour la seconde et dernière fois.

Au congrès de Vienne 1814-1835 sous l’égide du chancelier autrichien Metternich, les empereurs et rois se partagent la carte de l’Europe. Il faut mettre fin aux idées pernicieuses de la Révolution, le pouvoir du peuple sur les monarchies diverses, le principe des nationalités. Alexandre Ier tsar de toutes les Russies, invente la Sainte Alliance. Tout roi détrôné doit être remis sur son trône par une coalition, l’on ne peut imposer une constitution libérale.

Deux principes vont animer cette partie du XIXe siècle, les idées libérales  Espagne, France et les idées légitimes, alliance du trône et de l’autel reposant sur un certain corporatisme où chacun doit rester à sa place. Le libéralisme finira par triompher en 1830, prudemment, puis en 1848, totalement.

Revenons à la politique anglaise sur le continent, elle est simple, maintenir par un jeu d’alliances, un équilibre des nations européennes, s’allier à la plus faible pour contrer l’Allemagne, l’Autriche ou la Russie qui voudrait s’arroger une quelconque supériorité.

Vis à vis de la Russie, interdire son accès aux mers chaudes. L’ambition des tsars est de prendre Constantinople, débouché en Méditerranée où l’Angleterre contrôle Gibraltar (1704), Malte (1803) et Chypre, fin XIX ème siècle, sur la route de l’Égypte et des Indes, stopper son expansion dans le Caucase et surtout vers l’océan Indien par l’Iran et l’Afghanistan d’où des guerres perdues des deux nations dans ce pays du nord des Indes tout au long du XIXe siècle.

Vis à vis de l’Allemagne, maintenir un équilibre entre Prusse qui  domine les états du nord et l’Autriche proche de la Bavière, Wurtemberg et Bade; contrer les manoeuvres de l’Autriche comme pour la Russie, vis à vis de l’enfant malade de l’Europe, l’empire ottoman.

L’Italie partagée entre Bourbons et Habsbourg Autrichiens et qui ne trouvera son unité qu’en 1860-1867 et 1870  n’est pas une menace.

L’Espagne qui perd ses colonies 1810-1825 est exsangue et s’enferme dans des guerres civiles.

La France libérée des armées étrangères de 1818 a perdu ses forteresses du nord en 1815, ce qui lui restait de la Savoie , le pays aspire à la paix, à retrouver sa prospérité.

Les grecs en rébellion contre le pouvoir ottoman ne seront défendus par les puissances alliées que lorsque la répression (massacres de Chio) sera trop vive.

Ce sera la guerre d’Espagne de Chateaubriand, promenade militaire pour rétablir Ferdinand VII, prisonnier des libéraux, sur son trône. L’intervention maritime pour soulager la Grèce et surtout la prise d’Alger  le 5 juillet 1830 . Cette expédition mécontente l’Angleterre mais la révolution de 1830, les gages donnés par Louis Philippe, le refus de ce dernier à la naissance de la Belgique révoltée contre les Pays Bas d’ accepter du jeune royaume son second fils le duc de Nemours comme roi, permet d’éviter une confrontation.

La conquête de l’Algérie durera avec les révolutions kabyles jusqu’en 1857. Napoléon III, en avance sur son temps, prônait une nation arabe, autonome, c’était aller à l’encontre des mentalités européennes de l’époque, des colons s’appropriant le pays s’appuyant sur une élite , en particulier, juive. L’amendement Crémieux devait donner à ces derniers le titre de citoyens français.

En 1840, malgré les atermoiements de Louis Philippe,  une guerre voulue par Adolphe Thiers  faillit éclater entre les deux nations et ce malgré le retour des Cendres, Napoléon rendu par l’Angleterre repose auprès de la Seine aux Invalides. L’enjeu était le conflit Égypte- ottoman. Nous soutenions les premiers, les anglais les turcs; Louis Philippe renvoie Thiers le remplace par Guizot dont l’immobilisme allait provoquer la Révolution de 1848 ensanglantant l’Europe, arrachant aux monarchies une constitution plus ou moins libérale.

C’est dans les années 1840 que la jeune reine Victoria 1837-1901 vint en visite officielle à Paris reçue par le roi Louis Philippe et la reine Marie Amélie. Les désaccords entre les deux pays furent aplanis et la première entente cordiale scellée.

L’on doit cependant au génie de Napoléon III, prince président (1848-1851) puis Empereur des français (1852-1870) d’avoir fortifié et rendu pérenne cette entente. Songer que le neveu de Napoléon Ier , anglophile, soucieux de salubrité et d’hygiène publique, saint simonien qui avait beaucoup appris de la révolution industrielle anglaise allait tenter la même expérience en France. Il avait bien connu l’Angleterre où il devait terminer sa vie après l’échec de Sedan, il y repose toujours… Ce fut notre alliance au cours de la guerre de Crimée, l’Angleterre défendant ses intérêts commerciaux menacés par l’expansionnisme russe qui convoitait Istanbul et l’entrée des mers chaudes. La France, désireuse du maintien de ses droits en matière culturelle et religieuse et protectrice des minorités opprimées,le début de la campagne du Mexique avec l’Espagne mais les anglais se retirent après avoir obtenu satisfaction du remboursement de leur dette.

En 1860, lors de la seconde guerre de l’Opium, anglais et français prennent Pékin, détruisent le Palais d’été, deux siècles d’humiliation de la Chine qui ne manque pas à ce jour de nous le reprocher.

Pour autant en 1870, ni l’Italie où nous avions maintenu un corps expéditionnaire pour défendre les états du pape, ni l’Angleterre ne nous soutiennent. Après la défaite, l’empire allemand est proclamé à Versailles dans la galerie des glaces. Princes et rois acclament Guillaume Ier, roi de Prusse comme Empereur allemand.

En 1871 trois départements d’Alsace Lorraine nous sont enlevés. Ils animeront l’esprit de la revanche entretenue par un nationalisme qui nous paraît aujourd’hui outrancier soutenu par ces hussards noirs de la république que sont les instituteurs.

La république est proclamée le 4 septembre 1870 mais l’Assemblée issue de la guerre est en grande majorité royaliste. Pendant cinq ans, on pense la Restauration possible, les partis légitimistes et orléanistes s’étant réconciliés mais la personnalité du comte de Chambord, petit-fils de Charles X ne permettra pas l’évolution de la France vers une monarchie constitutionnelle…. 1875, l’amendement Wallon fonde la IIIe République.

Celle-ci est bien seule dans un environnement hostile. Sur le plan extérieur, la France est isolée, elle va le rester une vingtaine d’années. Seule République dans un environnement monarchique, elle représente tous les maux, instabilité politique, parlementarisme qui sape le pouvoir et n’autorise l’arbitrage, scandales financiers, corruption, misère de la population ouvrière qui s’ouvre au socialisme marxiste ou guesdiste, période d’essor économique ponctué de crises paroxystiques, recherche de nouveaux marchés qui amène au colonialisme voulu par la gauche.

N’appelle-on-pas Jules Ferry avec dérision le « Tonkinois ». Seule la monnaie demeure jusqu’en 1914 ferme permettant à la bourgeoisie le maintien de ses rentes.

La France amuse ou scandalise l’Europe mais Bismarck, le chancelier du Reich la maintient dans un isolement diplomatique favorisant cependant  son expansion coloniale ne serait-ce que pour agacer ou irriter l’Angleterre.

Mais l’Europe danse sur un volcan alimenté par l’affaire des Balkans, l’enfant malade du continent est l’empire ottoman qui se disloque et se morcelle.

Après l’Algérie, la France en compétition avec l’Italie lui ravit la Tunisie,1881. L’Italie en 1911 acquiert la Tripolitaine alors que l’Angleterre, maîtresse du Canal de Suez établit avec l’Egypte une alliance, sorte de protectorat qui lui permet de s’avancer vers le Soudan, mais c’est dans les Balkans que  l’agitation est au maximum, la Bulgarie et la Serbie sont proches des russes.

En 1878 au Traité de Berlin, Bismarck réconcilie l’Autriche Hongrie et la Russie, réconciliation de façade tant les antagonismes sont profonds, l’Autriche assure un protectorat sur la Bosnie Herzégovine avant de l’annexer peu avant 1914, prélude à la Grande Guerre suite à l’assassinat du grand duc héritier François Ferdinand.

La Russie se détache de l’alliance des trois empereurs. En proie à la guerre civile, aux manifestations de masse elle cherche à s’industrialiser, à développer ses transports. Ce vieux pays engoncé dans ses traditions, à peine sorti de la féodalité a besoin d’argent frais pour développer ses infrastructures.

Marianne se révèlera très généreuse, l’alliance se fera suite aux visites d’escadrons, aux fraternisations de marin, militaire puis diplomatique, elle sera enfin politique. Alexandre III pour qui la république est abjecte fait preuve de lucidité et ce sont les emprunts russes, de funeste mémoire, qui industrialise l’empire des glaces. Les visites se succèdent en 1893 l’alliance est établie, elle sera renforcée par la personnalité de Nicolas II qui arme la France et se portera à son secours en 1914.

L’Italie rejoint les empires centraux, c’est la triplice, elle nous en veut du fait de la Tunisie mais les intérêts italiens tant commerciaux que territoriaux sont en contradiction et en 1916 elle rentrera  en guerre à nos côtés.

Cette dernière décennie du XIXe siècle voit notre antagonisme avec Albion s’aggraver. C’est l’affaire de Fachoda et le corps expéditionnaire du capitaine Marchand doit se retirer du Soudan où une flottille britannique remontant le Nil s’apprête à l’attaquer.

Le coq gaulois est blessé par la rose. Les deux nations sont au bord de la guerre. Deux hommes vont empêcher le conflit. Le futur roi d’Angleterre Edouard VII (1901-1910) francophile et parisien et Delcassé, ministre des Affaires étrangères. Alors l’Angleterre sera à nos côtés contre l’Allemagne en cette orée du XXe siècle où l’affaire du Maroc risque d’entraîner un nouveau conflit. Le gouvernement du roi Edouard VII nous soutient lors de la conférence d’Algésiras et les sphères d’influence au Maroc sont partagées entre  l’Espagne et la France, cette dernière en 1911 avec Lyautey assurant son protectorat sur le royaume Chérifien.

En 1904, l’entente cordiale entre la France et l’Angleterre consacre les efforts des deux peuples et la diplomatie visent à ménager les conflits entre la Russie et la Grande Bretagne dont l’influence est partagée en Iran et le Turkistan russe séparé de l’Inde anglaise par les glacis de l’Afghanistan.

L’Angleterre voit d’un mauvais œil  le réarmement de l’Allemagne qui se dote d’une flotte de  guerre puissante, dont l’armée se renforce, c’est la course aux armements qui aboutit au conflit mondial de 1914. Guerre de mouvements puis guerre de tranchées laissent les deux pays vainqueurs mais exsangues, la France, particulièrement meurtrie dans sa chaire à la démographie déclinante, dont les zones industrielles Nord et Est ont été particulièrement touchées, doit faire face à une dette énorme et à des révoltes sporadiques.

Quant à l’Europe, deux crises économiques, des révolutions suite à l’émancipation des peuples et au triomphe du communisme en Russie maintiennent l’instabilité et favorisent le fascisme.

C’est que le Traité de Versailles porte en germe la seconde guerre mondiale. L’Allemagne a déposé les armes mais son territoire n’a pas été envahi. Elle se sent particulièrement humiliée, la revanche est en marche, la montée de l’hitlérisme en est la conséquence. L’Autriche Hongrie a implosé, c’est le principe des nationalités avec des exceptions, la Croatie est donnée à la Serbie ainsi que le Montenegro, pourtant notre allié. La Slovaquie partage les destins de la Tchéquie. La Pologne renaît après un siècle et demi de despotisme. La Finlande intégrée à la Russie en 1809  recouvre sa liberté ainsi que les provinces baltes.

Devant ce morcellement, l’Angleterre se confine dans son isolement ne soutenant pas son ancien allié qui va occuper la Rurh et la Belgique pour non paiement de la dette de l’Allemagne. En 1935, lors de la réinstallation de l’armée d’Hitler sur la rive gauche du Rhin, les alliés protesteront mais ne feront rien.

Vingt ans, une génération sépare les deux conflits. La Der des Der ainsi appelle-t-on la première guerre mondiale, ne laisse qu’amertume, regrets et des peuples désabusés qui ont dû faire face aussi à la spéculation venue d’outre Atlantique, à la grande crise financière économique de 1929 qui impose aux États Unis sous Roosevelt, un new deal et qui arrive en France en 1932 et jette l’Allemagne dans les bras d’Hitler. Mussolini qui s’est emparé en Italie du pouvoir en 1922, alliée de la France et de l’Angleterre s’aliène ces deux nations lors de la guerre d’Éthiopie. La S.D.N., ancêtre de l’O.N.U. Condamne l’agression de l’Italie depuis l’Érythrée, sur le seul pays africain qui n’a jamais été colonisé. Alors l’Italie se rapproche de l’Allemagne et avec le Japon qui après la Corée, la Mandchourie convoitait la Chine en proie à la guerre civile forme l’axe Berlin-Rome-Tokyo.

La seconde guerre mondiale s’apprête 1939-1945. La France envahie n’aura plus droit au chapitre des grandes puissances…

Roosevelt se méfie de de Gaulle, Churchill soutient ce dernier contre Staline et le 7 mai 1945 à Reims puis le 8 mai à Berlin, la France signera l’armistice.

Nous arrivons à l’époque contemporaine, celle de la décolonisation réussie en Angleterre où le Commonwealth maintient des liens économiques, commerciaux et culturels, plus ardue en France

1945-1962 où le centralisme jacobin vis à vis des peuples aux langues et cultures différentes et minorées sera l’objet de conflits.

Quelques hommes vont créer l’Europe. Les français Jean Monnet et Robert Schuman, l’italien Alcide de Gasperi, l’allemand Konrad Adenauer. Communauté économique de la CECA puis du Marché Commun Traité de Rome en 1956. L a dynamique du couple Franco Allemand malgré de nombreuses vicissitudes en sera le moteur.

L’Angleterre se méfie de cette entité à visée politique, elle préfère le libre échange, la diminution des barrières douanières et l’instaure avec sept états qui enserrent les six du Marché Commun; c’est un échec. Mac Millan, le Premier ministre conservateur s’en approche mais De Gaulle (1959-1969) s’y oppose, car le Royaume Uni est partagé entre un continent et le grand large, son amitié séculaire , depuis 1815, avec les Etats Unis, l’hégémonie de sa langue. Il l’intègre  cependant en 1972 mais demeure rétif à la P.A.C. et n’a pas accepté l’union monétaire : l’euro.

Aujourd’hui l’Europe est en construction, la multiplicité des langues, l’inconscient collectif, l’histoire, le communautarisme ou l’intégration, le choc des religions, des civilisations, l’impact démographique sont des enjeux d’actualité. La Chine, l’Inde, la Russie, le Brésil, l’Afrique du Sud même ont une croissance qu’on leur envie. Mais l’Europe ne saurait exister sans le Royaume Uni. Celui-ci n’est plus une île depuis l’euro tunnel . Arrimé au continent, l’amitié Franco Britannique traverse les ruptures et les malentendus.