Festival d’Avignon juillet 2022

Festival d’Avignon : 6 –30 juillet 2022

par Maryse CARRIER (52ème fauteuil)

            Pour cette 76ème édition du Festival d’Avignon, créé par Jean Vilar en 1946, et 3 semaines durant, les spectacles du In et du Off se côtoient dans Avignon, ce lieu merveilleux où des centaines d’artistes arpentent inlassablement les rues de la cité, dont les façades disparaissent derrière des myriades d’affiches. Malgré la canicule, un public très nombreux, amoureux de théâtre envahit l’espace, se jouant des horaires depuis le matin jusqu’à des heures fort tardives.

Après 9 ans à la tête de ce Festival, son directeur Olivier Py, qui s’apprête à céder sa place au metteur en scène portugais Tiago Rodrigues, a programmé à nouveau – dans le cadre du In – de surprenantes « histoires de l’humanité, d’Euripide à Tchekhov, de Shakespeare à Mahmoud Darwich, Pascal Quignard ou Simon Falguières »….

Or si environ 150 000 « happy few » assistent aux spectacles du Festival In, n’oublions pas qu’environ 1 500 OOO spectateurs accourent au festival Off, qui lui hélas ne bénéficie pas de subventions !  Car en réalité, deux festivals, deux publics semblent bien ne pas vouloir se mélanger durant 3 semaines à Avignon. Les uns reprocheront au In son volontarisme délibérément avant-gardiste et élitiste, les autres invoqueront l’aspect grand public et populaire du Off ! Libre à chacun de choisir !

          Ayant opté cette année pour le Off, au programme très éclectique (avec plus de 1530 spectacles !), nous avons vu et entendu un large éventail de remarquables prestations, dans des théâtres permanents ou provisoires : partout qualité du spectacle (qui dure rarement au-delà d’1h30), compétence et enthousiasme des acteurs ne pouvaient que susciter notre admiration.

 

Parmi la longue liste de spectacles auxquels nous avons assisté, voici nos principaux coups de cœur :

            La musique étant toujours au rendez-vous à Avignon, plusieurs musiciens se révèlent comme de véritables virtuoses, tel le «Pianiste tout terrain » Simon Fache, également trompettiste et accordéoniste, qui prend plaisir à « étriller les frimeurs, les imposteurs, les pianistes de croisière, de mariage ou d’enterrement… et lui-même » !

           Le spécialiste de musique de films Alain Bernard nous offre avec son « Piano Paradiso » un spectacle d’une fantaisie à la bonne humeur contagieuse, à la fois plein d’humour, de tendresse et d’autodérision !

            L’ensemble « Trovaores » (Antonio Placer, Javier Rivera et Juan Antonio Suarez Canito)  ou « la rencontre du flamenco, du jazz et de la chanson d’auteur », accueille avec bonheur le grand danseur de claquettes Rafael Campallo.

           Puis 4 saxophonistes étonnants « Les Désaxés » font vivre au public avec « Mad Sax » plusieurs styles musicaux de Ravel à Gershwin en passant par Bach, Debussy, le Jazz rock et le Tango argentin…

         Car la musique classique n’est jamais très loin : « Mozart vs Mozart », animé par tous les membres musiciens et comédiens de la famille Gillis, nous invite à un voyage légèrement iconoclaste dans la vie mouvementée de Wolfgang Amadeus. Une mention particulière pour la toute jeune Juliette Gillis, qui avec une présence surprenante pour son âge tient magistralement le rôle d’un Mozart imprévisible, surdoué, facétieux, « follement génial » !

 

            On ne peut qu’admirer également « Vivaldi, l’Age d’or » de Marianne Piketty et son Concert Idéal. Ici 8 musiciens, véritables « passeurs de merveilles… mis en mouvement, en espace et en lumière », célèbrent l’Ecole Vénitienne avec entre autres « les emportements virtuoses de Vivaldi » et d’Albinoni durant l’ère baroque des XVII et XVIIIèmes siècles, lorsque Venise brillait de mille feux !

 

Par ailleurs sur les scènes de théâtre, de nombreux spectacles mettent en exergue des personnalités d’exception, qui ont imprimé leur nom dans l‘histoire grâce à leur engagement, leur détermination, leur courage sans faille.

Deux spectacles émergent dans le style à la fois théâtral et musical :

           Déportée en 1943 à Ravensbrück (camp de concentration réservé aux femmes), Germaine Tillon, ethnologue et résistante française, rédigea en cachette « Une opérette à Ravensbrück », « pour défier le mal par le rire ». Pour résister en effet et pour « redonner vie à leur corps et à leur âme », les déportées plaisantent, chantent, dansent. L’art n’est-il pas un moyen d’exorciser l’indicible ? (Les prisonniers juifs de Theresienstadt ont bien créé et joué des pièces de théâtre non innocentes à l’intérieur du camp…)

           De même dans « La vie est Kurt », spectacle trilingue, la comédienne et mezzo-soprano Ana Isoux accompagnée au piano par Bertrand Ravalard,  « campe avec rage et humour la galerie bigarrée des laissés-pour-compte » de Kurt Weil et surtout de Bertolt Brecht (avec notamment des extraits de «L’Opéra de quat’sous »), « de Berlin à New-York, en passant par le Paris de l’entre-deux guerres ».

 

Dans le même registre, certain(e)s comédien(ne)s n’hésitent pas à se livrer à un flamboyant One Man/Woman Show :

             C’est ainsi que Céline Monsarrat avec « Olympe de Gouges. Plus vivante que jamais » incarne avec brio le rôle de l’une des pionnières du féminisme en France (son manifeste le plus célèbre en 1791 étant « la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne »), retraçant « son parcours de femme indépendante et libre », emprisonnée à la Conciergerie avant d’être guillotinée.

            Une riche exposition à la mairie d’Avignon sur le ministre de l’Education nationale et des Beaux Arts du Front populaire est un remarquable complément au spectacle passionnant « Jean Zay. L’Homme complet » d’après « Souvenirs et solitude » de Jean Zay lui-même, magistralement  incarné par Xavier Béja. « Franc-maçon, cible des antisémites, le ministre sera condamné à la déportation par le gouvernement de Pétain » et assassiné par la milice française en 1944.

            Un hommage particulier est rendu à Albert Camus avec l’adaptation de ses « Lettres à un ami allemand », rédigées courageusement pendant la guerre, dans lesquelles l’auteur nous  livre « un véritable manifeste contre les nationalismes en tout genre », lequel retentit aujourd’hui avec une étonnante acuité.

            Depuis des années, Pierrette Dupoyet aborde sur la scène d’Avignon des sujets de société ou retrace le destin d’illustres personnalités, telle que cette année « Joséphine Baker », mettant l’accent, avec beaucoup d’émotion, sur la vie d’engagement de cette femme exceptionnelle digne du Panthéon !

 

Et c’est aussi avec beaucoup de panache que de nombreux comédiens, en compagnie d’une troupe parfois réduite, passionnent absolument le public :

               Avec « Les racines de la liberté », nous assistons à « un ultime et fascinant face à face le 22 mars 1794 entre Danton et Robespierre, deux figures de proue de la Révolution » : Danton (magistralement interprété par l’auteur de la pièce Hugues Leforestier) tente – vainement – d’obtenir un arrêt de la Terreur de la part du Comité de Salut public et de Robespierre (belle performance de la sublime Nathalie Mann), l’enjeu étant d’obtenir un monde libre, « plus juste et plus équitable ». Une semaine après cette rencontre, Danton, l’opposant contestataire, sera guillotiné (Robespierre connaîtra le même sort le 28 juillet de la même année !).

         Le spectacle « Un soir chez Renoir » met en présence, en 1877, 4 peintres impressionnistes, Renoir, Monet, Morizot, Degas qui préparent leur 3ème exposition indépendante. Mais comme leurs toiles ne se vendent pas, ne devraient-ils pas plutôt exposer dans le cadre du classique Salon Officiel ? Les avis sont partagés, les discussions très animées… Vont-ils rester fidèles à leurs idéaux artistiques et refuser le Salon ? Vont-ils suivre les conseils de Zola, qui tente de les convaincre de rejoindre le Salon en insistant sur le fait que leur peinture est certes très belle, mais en dehors de ces réalités si chères à l’auteur des Rougon-Macquart, qui a dépeint l’époque du Second Empire à partir de si pertinentes observations ?

               « Chaplin 1939 » met l’accent avec humour sur la préparation bouillonnante d’un chef-d’œuvre « Le Dictateur ». Chaplin en effet, réalisateur intelligent, lucide et même visionnaire, veut se « payer Hitler », qu’il « devine dangereux et fou et qui a osé en plus lui voler sa moustache » !

               L’histoire de Camille Claudel, « sculptrice de génie », est magistralement évoquée dans « K-Mille », « mêlant danse et création musicale ». Mais Camille sera bientôt victime de sa passion pour la sculpture et pour Rodin, qu’elle considèrera comme un manipulateur qui exploite son génie créatif ; elle s’éloignera de lui et sombrera dans la folie. La pièce met en lumière « la place des femmes artistes et le combat pour la liberté absolue dans l’art ».

                Avec « Je m’appelle Adèle Bloom », Armelle Deutsch fait revivre au sein d’un hôpital psychiatrique une jeune femme rebelle qui, s’opposant en 1947 au monde qui l’entoure et en particulier à « la figure scandaleuse de la neurochirurgie américaine », incarnée par un certain Walter Freemann, essaie de survivre grâce à l’écriture.

 

Mais le festival Off ouvre également ses portes à des artistes étrangers et c’est une véritable « standing ovation » qui sera dédiée au spectacle de danse contemporaine « See You » de la compagnie taïwanaise Hung Dance, dont « la spécificité est le mélange entre la danse contemporaine, le Tai-chi, les techniques du Popping et de la Street Dance » !

 

Certes tous les spectacles du Off ne relèvent pas de la même veine, mais avec un peu de chance, de l’intuition et surtout des discussions toujours aisées avec d’autres festivaliers, on réussit facilement à détecter quelques chefs-d’œuvre pour notre plus grand plaisir et avec le sentiment de contribuer au soutien indéfectible d’artistes si talentueux et si méritants !