Arthur Richard DILLON

Arthur Richard DILLON, Monseigneur.

Un prélat d’Ancien Régime, avant la Révolution Française.

Par Serge LEMAIRE Académicien (30ème fauteuil)

Les Toulousains, aujourd’hui, connaissent tous le ‘cours Dillon’. Au 19ème siècle et jusqu’en 1914, il était l’une des promenades dominicales préférées des habitants de la Ville Rose qui aimaient profiter de ses avantages.

De la Barrière de Muret à l’Hôtel-Dieu Saint-Jacques, il offrait une belle perspective et s’ornait, côté sud, des fameuses grilles de Joseph Bosc que l’on peut admirer au Grand Rond.

Ce mail doit son nom à monseigneur Arthur Richard Dillon, archevêque de Toulouse qui en fut le promoteur.

Je voudrais formuler deux remarques préalables :

  • Les éléments de sa biographie, très denses, et d’origines diverses, le présentent comme un grand seigneur, certes, mais homme aussi, attachant par ses qualités et ses défauts. Il nous évoque des grands noms de l’histoire qui doivent, ou qui ont, peu ou prou, eu leur vie et leurs réussites régies par des mères ou des épouses… Je pense au grec Ménélas, au romain Jules César ou encore au corse Napoléon-Bonaparte.

Arthur,l’Irlandais, s’est aussi, fort bien accommodé d’une grande aile tutélaire et féminine, j’en reparlerai.

  • Il ne faut pas non plus, le confondre avec « Château Dillon », classé Haut Médoc et Grand Cru Bourgeois, également inscrit au titre des monuments historiques !

Le domaine a gardé le nom de son propriétaire, Robert Dillon, qui l’a racheté au début du 18ème siècle (1705). Je n’ai pas trouvé de lien de parenté flagrant, mais le doute est plus que permis[1]

Il est situé sur la commune de Blanquefort. Il est propriété de l’état (le ministère de l’agriculture), et Lycée agricole réputé.

Quelles sont les origines de cet ‘Homme d’église’ ? Il faut, un peu, remonter le temps et parler de son géniteur, lui aussi Arthur, né en 1670.

Arthur Dillon, d’une riche et noble famille irlandaise, a soutenu et combattu aux côtés de Jacques II d’Angleterre, (seconde révolution anglaise), comme aussi son père l’avait fait avant lui. En 1690[2], il est parmi les vaincus de la bataille de Limerick, province du Leinster. (Où bien d’autres, que nous connaissons, ont connu depuis, la pâle défaite !…)

Il passe en France, avec ses hommes, et appartient à la « Brigade irlandaise » que créée alors Louis XIV.

Il commande un régiment qui porte son nom et qui a été levé aux frais de son père.

Il est Maréchal de Camp à 34 ans, 1704, Lieutenant général à 36 ans ! Il fait campagne en Espagne, en Italie, en Allemagne… De 1717 à 1725, il est, à Paris, Ambassadeur de Jacques-François Stuart, héritier des trônes d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande.

Il est riche, il est Comte, il est « pair » d’Irlande, il a un fils en 1721 (son quatrième enfant), Arthur Richard Dillon. Il meurt en 1733. Son fils n’a que 12 ans.

Arthur Richard Dillon, est donc né le 14 septembre 1721 à Saint-Germain en Laye, il mourra à Londres le 5 juillet 1806.

  • Il est destiné à l’église.

Il étudie à Saint-Sulpice puis en Sorbonne, obtient son diplôme de théologie. Carrière fulgurante ! D’abord abbé, puis

  1. A 26 ans, il est nommé vicaire général de Pontoise.
  2. A 32 ans, évêque d’Evreux.
  3. Cinq ans plus tard, archevêque de Toulouse.
  4. Archevêque de Narbonne. Une consécration qui le fait « Primat de la ‘Gaule’ Narbonnaise » et Président né des « Etats de Languedoc ». Le premier personnage de la Province… Il a 41 ans. Il le restera 28 ans.
  5. Il devient, abbé commendataire de Saint-Etienne de Caen, un siège de prestige, une abbaye qui lui procure de substantiels revenus. Ses biographes estiment ceux-ci entre 500 000 et 800 000 livres/an, soit en monnaie d’aujourd’hui, de 31 à 49 millions d’euros/an… On imagine !

Le roi Louis XVI le nomme « Commandeur de l’Ordre du Saint-Esprit » en 1776 ; il a le droit de porter le « fameux cordon bleu ». Il est encore président de l’Assemblée du Clergé en 1785 et la préside de fait avec rigueur.

Enfin, à Toulouse, il est Académicien des Jeux Floraux depuis 1761.

Un magnifique parcours ! Avec quelques revers…

  1. Il n’est pas élu aux Etats généraux.
  2. Il refuse la ‘constitution civile du Clergé’ et ne signe pas le serment constitutionnel. Réfractaire, il doit s’exiler, comme toute la noblesse, ou presque, à Coblence ! Puis il gagne Londres.

De même, pour certains auteurs, il refuse le concordat de 1801, appliqué en 1802. Pour d’autres, avec 13 autres évêques, il redonne à Napoléon, la possibilité de nommer les évêques aux sièges ainsi libérés…

  • L’administrateur.

Ses biographes le définissent comme un administrateur visionnaire, un homme entreprenant ! Comme un Grand Seigneur qui se consacre davantage au ‘temporel’ qu’au ‘spirituel’.

Il réalise de grands travaux d’utilité publique : ponts, canaux, routes, ports… Il crée des chaires de chimie (pour Chaptal par exemple) et de physique à Montpellier et à Toulouse.

Homme de cœur, il essaie de réduire la pauvreté à Toulouse et surtout à Narbonne.

On lui doit le Cours Dillon à Toulouse, le Quai Dillon à Narbonne et le canal de jonction de la Robine au canal du Midi…

Pourtant, il n’était pas aimé ou apprécié de son clergé, cet ‘homme du nord’ ne semble pas avoir eu beaucoup d’atomes crochus avec les Occitans… Il n’est donc pas élu pour siéger aux Etats généraux de 1789. C’est pour lui un échec cuisant et durement ressenti…

Il décède à Londres en juillet 1806, il est inhumé au cimetière de l’église de Saint Pancras.

Mais lors de l’extension, récente, de la gare internationale Saint Pancras, le cimetière est détruit.

La dépouille d’Arthur Richard Dillon est alors transférée à Narbonne, le 16 mars 2007.

Son caveau se trouve dans la chapelle Saint-Martin de la cathédrale Saint-Just et Saint-Pasteur qu’il avait contribué à faire achever. C’est monseigneur Lustiger qui a présidé les cérémonies officielles de ce transfert.

Arthur Richard Dillon a donné lieu à une importante littérature depuis Dom Vayssette à Toulouse, jusqu’aux « mémoires d’une tante » par madame la comtesse De Boigne, ou ceux de sa petite nièce madame la marquise De La Tour Du Pin qui, avec madame la comtesse De Rothe, veilla fidèlement sur sa maison.

L’étude que je préfère est signée de Léon Dutil, un professeur du Lycée de Toulouse, également chargé de cours à l’Université de la rue Lautmann, entre les deux guerres mondiales.

Léon Dutil y dresse le portrait d’un prince de l’église, avant la Révolution Française. Portrait de l’Homme, portrait du prélat, et portrait du président en action, à la tête de ses Etats de Languedoc.

  • Léon Dutil publie, dans les Annales du Midi, en l’année 1941.

D’après des témoignages de contemporains du prélat, il délivre, dans les annales, plusieurs importants articles. (tomes 23 et 24 des annales).

Ses sources : il les dissèque pour nous, en faisant la part du sentimental et de l’affectif, ou encore de la bienséance. Mais il en reconnait la sincérité. Je l’ai donc suivi !

  • le chanoine Sabarthès, qui publie dans « Bulletin de la Commission archéologique de Narbonne », s’efforce à une objectivité qui respecte les convenances. (1940 ou1941).

L’archevêque de Narbonne, de fait, Président des Etats de Languedoc, y est présenté comme le ‘Primat de la Narbonnaise’ ou encore ‘le Vice-roi du Languedoc’. Le chanoine lui accorde des circonstances atténuantes quant à son manque de ‘pugnacité’ religieuse…

Léon Dutil écrit « il occupe en 1785, la plus haute situation qu’un ecclésiastique puisse rêver dans le royaume ».

Dutil évoque encore le portrait de l’archevêque exposé au musée Saint-Raymond, haut en couleurs, et voisin de celui de Loménie de Brienne… Deux personnalités que tout oppose ! L’un que Dutil verrait bien représenté en guerrier, l’autre tout en finesse que nous connaissons…

L’étude de ce tableau, que fait Léon Dutil, ne manque pas d’intérêt.

  • Madame la marquise de La Tour Du Pin, « Journal d’une femme de cinquante ans ».

La marquise, ancienne comtesse de Gouvernet, est la petite-nièce de l’archevêque, dont le père était le 6ème propriétaire du régiment de Dillon, au service du roi de France, distingué soldat, mais joueur invétéré, dont Arthur Richard Dillon payait les dettes, dont les auteurs affirment qu’elles étaient considérables…

« Jusqu’en 1787, son mariage, on peut dire que la marquise tenait la maison de l’archevêque », dit Léon Dutil ; ou encore « que l’archevêque vivait chez ses nièces ».

*Madame la comtesse de Boigne, dans « Récits d’une tante », rapporte les propres observations de sa mère, une Dillon !,cette demoiselle, Dillon de Roscommon (le comté de Roscommon était le berceau de la famille Dillon), branche pauvre, établie à Bordeaux, épousa le marquis d’Osmond, contre l’avis de sa famille. L’archevêque en fut froissé.

Il recueillit le couple qui vivait ainsi au domaine de Hautefontaine, en Picardie. Leur fille épousa en 1781, l’aventurier général comte de Boigne…

  • Enfin madame la duchesse d’Abrantès, « L’Histoire des salons de Paris », qui vivait de sa plume (dureté des temps oblige!), acérée…

Voilà pour les sources de Léon Dutil qui, à travers tout cela, a recherché l’homme, le prélat, le grand seigneur.

  • La vie quotidienne de monseigneur Dillon est ordonnée, avec fermeté, par sa nièce, madame la comtesse de Rothe. C’est une personne très autoritaire qui règne sur la vie du prélat ! Lequel, d’ailleurs, semble parfaitement s’en accommoder.

En hiver, de novembre à avril, il vit à Paris, rue du Bac, ou dans son archevêché de Languedoc, quand il préside les Etats.

D’avril à octobre, le ‘clan Dillon’ vit au château de Hautefontaine, dans l’Oise, à quelques vingt lieues de Paris.

J’aurais aimé vous parler de sa vie à Hautefontaine, de ses voyages en Languedoc, de sa présence à la Cour, mais cela aurait par trop alourdi mon propos, je vous prie de me le pardonner…

Grand seigneur, prince de l’église, sur le podium des célébrités de son temps, Arthur Richard Dillon reste aussi un personnage qui présente quelques facettes attachantes ou légères.

Fidèle soutien des siens, il règle leurs dettes, il les recueille, il montre dans toute sa vie que ‘famille’ n’est pas un vain mot. Il ne se sépare jamais de son entourage familial.

Il est conscient de la grandeur de son nom, de la réalité de sa noblesse, fier de sa famille issue des pairs d’Irlande et d’Ecosse. J’y vois plus qualité que défaut…

Il se montre digne aussi dans les choix de sa fin de vie ; tout au moins conserve-t-il une cohérence de pensée : « constitution civile du clergé », « concordat » qu’il refuse.

Il montre également des côtés plus légers ou plus pragmatiques : homme actif, homme d’action, épicurien, amateur d’art, de plaisirs sportifs ou intellectuels, et d’autres encore…

Il pose des questions.

Incontestablement plus versé dans le temporel que dans le spirituel, ce n’est pas un contemplatif ; il fut sans doute bon administrateur, voire même très bon, mais archevêque ?… Certainement pas un modèle !

Quels étaient ses gros défauts ?

Orgueilleux, hautain, conscient que sa noblesse propre honorait l’église et non l’inverse. Ses biographes, ses nièces, l’abbé Sabarthès, Léon Dutil, se montrent fort pudiques. Est-ce important ?…

Pour moi, j’ai pris plaisir à le découvrir, à le voir vivre, et j’ai passé de bons moments, du bon temps avec lui, au cours de cette recherche. J’espère vous en avoir donné aussi, un peu, et vous remercie de votre patiente et aimable attention.

Pour l’Académie, ce mardi 20 novembre 2018.

[1] Vivait à Bordeaux une branche de la famille Dillon, porteuse du nom : Dillon de Roscommon. Le comté de Roscommon est le berceau de la famille Dillon, dans la province du Connacht, au plein cœur de l’Irlande.

[2] Une autre source nous donne 1688 comme date de la seconde Révolution anglaise.