Le Cri (1893)
Edvard Munch (1863-1944)
Communication de Maryse CARRIER (52e fauteuil)
« Le Cri » de Munch date de 1893 et voici ce que notait le peintre dès 1889 dans son Journal :
« On ne peindra plus des scènes d’intérieur avec des hommes en train de lire ou des femmes qui tricotent. Il faut que ce soient des êtres vivants, qui respirent, qui sentent, souffrent et aiment ».
Qu’en est-il de ce tableau, qui fait partie d’une série intitulée « Frise de la vie », sachant qu’il est d’une importance capitale dans l’histoire de l’art ?
Sur l’une des cinq versions réalisées par Munch (trois peintures, un pastel et une lithographie), ce dernier écrira : « Ne peut avoir été peinte que par un fou » !
Tentant d’expliquer l’origine de ce tableau, certains historiens de l’art affirment que le personnage serait une imitation d’une momie péruvienne chachapoya, ce peuple péruvien qui a résisté entre 800 et 1470 à la conquête inca et qui inhumait ses défunts, les doigts liés ensemble et attachés à la tête. Or cette momie a été dévoilée à Paris lors de l’Exposition universelle de 1889, et nous savons que Munch était présent à cette date-là dans la capitale française.
En tout cas ce tableau de Munch, l’un des plus célèbres au monde, est aussi l’un des plus reproduits de l’histoire de l’art : affiche du film d’horreur « Scream » (Wes Craven – 1997), celle de « Maman j’ai raté l’avion » (Chris Columbus – 1990), sans parler de la panoplie de la fête païenne d’Halloween. Mais nous retrouvons également « le Cri » dans des séries d’animation japonaises, des bandes dessinées (dont une où le tableau a été parodié par Uderzo), dans des jeux vidéo et même l’informatique s’en est emparé (voir un certain Emoji de nos portables) !
Mais que savons-nous de l’auteur de ce fameux tableau et quel fut son parcours jusqu’à la réalisation de ce « Cri » et même au delà ?
Peintre norvégien, considéré souvent en Norvège comme le plus grand, Munch est né en 1863 à Loten au nord-est d’Oslo et décédera dans sa propriété près d’Oslo en 1944, des suites d’une pneumonie, un mois et quelques jours après ses 80 ans. Il appartenait à une famille d’une part relativement aisée (père médecin militaire) et d’autre part très puritaine, son père affichant d’ailleurs de fortes convictions religieuses.
Edvard, le deuxième d’une famille de 5 enfants, fut un adolescent mélancolique et sera un adulte disons torturé… Alors que son père désirant que son fils devienne ingénieur, l’avait inscrit dans un collège technique où il ne restera qu’un an, il entrera à 18 ans à l’Ecole nationale d’Art et d’Artisanat d’Oslo.
Munch va parcourir ensuite une grande partie de l’Europe et fera de nombreux et longs séjours (hélas trop souvent alcoolisés !) dans plusieurs pays : Pays Bas, Danemark (où il fréquentera des milieux anarchistes révolutionnaires), Italie et surtout en France où il séjournera de 1885 à 1892, sur la Côte d’Azur mais aussi à Paris. Il fera alors la connaissance des Impressionnistes, Manet, Pissaro, Seurat, mais aussi de Toulouse-Lautrec, Gauguin, Van Gogh qui exerceront sur lui une influence manifeste, les Néo-Impressionnistes en particulier (cf « Rue Lafayette » et « Rue de Rivoli » de 1891). Il se liera d’amitié avec deux adeptes du symbolisme, le peintre Puvis de Chavanne, et le poète Stéphane Mallarmé et c’est à Paris qu’il va découvrir le théâtre d’Ibsen et de Strindberg, deux personnalités qui l’influenceront énormément, son compatriote, le dramaturge Ibsen, faisant preuve d’une sensibilité toujours très aigüe.
Puis de 1892 à 1908 (date importante !), c’est la rencontre décisive avec l’Allemagne, avec Berlin, où il aura une activité considérable (peinture, décoration, gravures sur bois, lithographies). Et c’est en Allemagne que Munch fut à la fois le plus admiré et le plus contesté. Il faut dire qu’il faisait partie d’un cercle philosophico-artistique et avant-gardiste autour d’August Strindberg, l’écrivain et dramaturge suédois, que Munch admirait beaucoup et qui a souvent exprimé dans son œuvre sa tristesse devant l’imperfection de l’existence humaine…
Ajoutons que ce fameux cercle de Berlin était dominé par l’ombre pesante et pessimiste des deux grands philosophes allemands, Schopenhauer et Nietzsche. Mais une autre personnalité a probablement influencé Munch, bien que n’habitant pas Berlin mais Vienne. Il s’agit bien sûr du médecin Sigmund Freud, car fin 19ème s. la psychanalyse est en pleine expansion, offrant de nouveaux moyens pour explorer la nature humaine.
Mais que voyons-nous sur ce tableau intitulé « Le Cri « ?
Au premier plan, un personnage épouvanté, dont le corps semble épouser les déformations du paysage. Son visage est cadavérique, cauchemardesque, ressemblant à une tête de mort et de sa bouche grande ouverte surgit un cri terrible, inquiétant, qui domine la composition. En fait ce personnage, qui se bouche les oreilles, semble hurler, car visiblement il est effrayé et ce tableau suscite en nous spontanément un sentiment de grand mystère.
Par chance Munch, s’identifiant au personnage du tableau, a expliqué au verso d’une lithographie, que la scène se déroule au soleil couchant près du fjord d’Oslo (long de 17 km et bordé par la Mer du Nord) :
A l’arrière-plan les amis, qui n’entendent pas le fameux cri, continuent tranquillement leur chemin, ce qui accentue le sentiment de solitude dans laquelle est plongé cet homme si angoissé.
Et le « cri immense de la nature » évoquée par le peintre, semble provoquer la fureur de toutes les lignes, sinueuses, fuyantes de ce tableau tant pour le paysage que pour le personnage, le tout apparaissant sous de gros traits de pinceaux tempétueux, transformant ciel et terre en une grande et terrifiante caisse de résonance ; le personnage se bouche même les oreilles pour ne pas entendre ce cri, c’est dire que nous assistons à une correspondance entre le cri de la nature et son propre cri.
Seuls le pont et le parapet constituent des lignes droites, parallèles et en diagonale dans ce paysage particulièrement animé. Mais pont et parapet (garde-fou peut-être), dominant la mer, semblent projetés vers une destination bien inconnue.
Quant aux couleurs, nous les entendons presque hurler elles aussi : en effet un incroyable coucher de soleil incendie les cinq couleurs vives et criardes, à savoir le jaune et le rouge d’un ciel sanglant, le bleu sombre, presque noir de la mer, et le violet, le vêtement violet du personnage mettant en exergue son visage. Nous constatons une opposition de couleurs chaudes et froides, complémentaires et riches de symboles : rouge/orangé qui renvoie au feu, au sang, à la souffrance, le bleu presque noir et le violet symbolisant le vide et la mort.
La nature serait-elle donc la source de l’angoisse du personnage ? Précisons que le thème des rapports de l’homme avec un environnement détérioré, à cause de la révolution industrielle, était très tendance au tournant du 20ème siècle en Europe et on le retrouvera souvent, notamment chez les peintres de l’Art Nouveau, tels Gustav Klimt, Alfons Mucha entre autres … ce thème faisant d’ailleurs tristement écho à nos propres inquiétudes actuelles.
Parfois sur certains tableaux le paysage seul a suffi à Munch pour projeter dans sa peinture les mouvements de son agitation intérieure. Mais le paysage, qui apparaît ici dans un mouvement de lignes vibrantes, est bien comme une image de l’instabilité, du chancellement de la pensée, où prennent naissance avec une force envahissante, les sombres et profonds tourments de l’homme angoissé.
C’est ainsi que sur ce tableau, personnage et paysage conjuguent leur signification morale et leurs implications esthétiques en un même élan, un élan éminemment expressionniste.
C’est pourquoi Munch est considéré comme le précurseur de ce mouvement artistique important appelé l’Expressionnisme. Ce tableau, l’une des œuvres essentielles de l’histoire de l’art, est admis comme la première œuvre, la première « dramaturgie géniale » de l’Expressionnisme, née avant le mouvement historique, comme nous allons le voir.
Définition pertinente de l’Expressionnisme : « Portant à un degré de tension accentuée les émotions humaines et singulièrement les émotions douloureuses et angoissées, la peinture expressionniste est lyrique et dramatique et se caractérise par des lignes épaisses, des couleurs violentes; ce n’est pas un style avec des règles précises, mais plutôt une volonté d’exprimer les tourments de l’artiste. L’Expressionnisme est la peinture de la tristesse, du malheur et de la peur qui étreignent l’humanité ».
Or pour comprendre Munch, il faut savoir en effet que la peur a habité cet homme toute sa vie et cette peur récurrente a eu plusieurs visages :
Observons tout d’abord le tableau « Autoportrait sous le masque d’une femme » (1893), où le visage de la femme est effrayant avec sa bouche immense et ses yeux charbonneux. Ce qui ne nous surprend pas, car Munch éprouvait en réalité une véritable peur des femmes (souvent infidèles, pensait-il).
Paradoxalement, alors que sa beauté un peu sévère exerçait une grande séduction auprès des femmes, il éprouvait beaucoup de méfiance à leur égard.
Quant aux deux tableaux « Le Vampire » (1893) où une femme inflige une morsure à la nuque de son amant et « La Madone » (1894), qui nous offre une autre image de la femme, ils illustrent tous deux parfaitement la dualité de la vision de la femme chez Munch, à savoir : attirance et peur/ érotisme et mort.
Cette image de la femme, tantôt Madone, tantôt Vampire, toujours autant désirée que redoutée, fut un thème obsessionnel chez lui et se situe au centre des angoisses du peintre en proie à son enfer personnel, ce qui n’est pas d’ailleurs sans rappeler Strindberg. En tout cas les thèmes de l’amour et de la mort furent les thèmes de prédilection de Munch, qui les a d’ailleurs souvent reliés….
Une sévère mésaventure sentimentale l’a beaucoup ébranlé : une riche Norvégienne que Munch refusait d’épouser, simula son propre décès pour ensuite « ressusciter », espérant ainsi que le peintre remis de sa frayeur, accepterait le mariage dans la joie ! Mais cette mise en scène macabre ne fit que justifier ses raisons de voir chez la femme l’incarnation de l’esprit du Mal et il ne se résoudra jamais au mariage !
Autre source de cette peur quasi viscérale chez Munch, la peur de la maladie et de la mort :
Deux tableaux presque identiques « L’enfant malade » de 1885 et celui de 1896 sont deux émouvants souvenirs de Sophie, sœur chérie d’Edvard, sa sœur ainée qui sera victime de la tuberculose.
Datant de la même année (1899) : « La Mère morte et sa fille » et « L’enfant et la mort ». Nous assistons ici à la mort de la mère avec l’enfant qui chaque fois se bouche les oreilles, comme si la mort était pour elle une musique funèbre qu’il n’est pas supportable d’écouter. Quant à Edvard, il était très jeune (cinq ans), lorsque sa mère mourut, victime elle aussi de la tuberculose et il en fut très affecté.
Toute sa vie Munch évoquera la disparition et l’absence tragique de ces 2 femmes, sa mère et sa sœur. On peut dire qu’il ne s’en est jamais remis et que leur perte fut certainement en partie à l’origine de ses obsessions et de sa révolte.
« La mort dans la chambre mortuaire » (1892), qui rappelle à nouveau la mort de sa sœur, est un tableau familial avec les parents et les cinq enfants. Et c’est le père que l’on aperçoit debout devant la mourante assise dans un fauteuil et représentée de dos. Ce père, que l’on surnommait « le médecin des pauvres », et qui souffrira plus tard de dépression, emmenait souvent son fils avec lui au cours de ses visites chez les patients. Ce contact précoce avec la maladie et la mort a profondément perturbé Munch, dont une autre sœur d’ailleurs sera victime de maladie mentale. Quant à son frère il décèdera jeune.
On peut dire que la vie de Munch fut jalonnée d’une succession de disparitions familiales, laissant penser au peintre que sa famille entière était vouée à la disparition, voire à la malédiction.
Mais les angoisses de Munch peuvent trouver leur origine ailleurs : certains critiques d’art soulignent en effet que ce cri est poussé par le peintre dans une société scandinave très conformiste, bourgeoise et puritaine, dont faisait justement partie le père de Munch.
Or le peintre, nous l’avons vu, a fréquenté assidûment des milieux anarchistes, à Copenhague, à Berlin notamment. C’est pourquoi ce « Cri » pourrait être compris comme une révolte sociale, Munch ne pouvant peut-être pas exprimer sa colère, sa révolte autrement.
N’oublions pas d’autre part le contexte historique, car on est en 1893, à mi-chemin entre la guerre de 1870 et la Première Guerre mondiale (environ 20 ans après et 20 ans avant).
Et grâce à leur extrême sensibilité, ce sont peut-être bien les artistes qui étaient les mieux à même de ressentir les prémices de l’apocalypse future (1914-1918), exprimant dans cette sphère d’influence expressionniste et avec des images particulièrement torturées, leurs sentiments visionnaires, leurs anxiétés, leurs angoisses existentielles et celles auxquelles était sujette l’humanité toute entière.
Mais force est de constater que nous demeurons toujours ignorants de ce qui détermine vraiment ce fameux cri, l’image ne nous donnant pas le secret du bouleversement intérieur, ce qui contribue bien sûr au mystère de sa composition. En outre dans le titre même du tableau Munch a étrangement privilégié cette sonorité, le cri, la dimension sonore de l’angoisse, celle qui ne peut pas transparaître physiquement d’un tableau mais qui suggère les troubles intérieurs qui confèrent à ce Cri sa puissante motivation d’inquiétude.
Toutes ces angoisses ne pouvaient qu’accroitre chez Munch une vision pessimiste du monde et nous savons à quel point il a toujours redouté de devenir fou. D’ailleurs il prononcera un jour cette phrase capitale : « La maladie, la folie et la mort sont les anges noirs qui ont veillé sur mon berceau et m’ont accompagné toute ma vie ! » Or en 1908, Munch sera victime de graves troubles psychiques (une importante consommation d’alcool n’étant pas étrangère au problème !). Souffrant de dépression nerveuse et d’hallucinations, il sera interné en 1908 à la clinique psychiatrique du Professeur Daniel Jacobson à Copenhague. Il ne se remettra jamais de cette dépression qui altèrera énormément son génie artistique et l’on peut dire que c’est avant 1908, entre 1892 et 1908, que Munch a réalisé en fait en peinture tous ses chefs d’œuvres.
Mais je ne peux pas m’empêcher de comparer le tableau de Munch avec le célèbre tableau de Van Gogh « Route avec cyprès et ciel étoilé « (1890), véritable délire pictural ! Occupant en effet pratiquement la même place que le cyprès de Van Gogh, le personnage qui pousse le fameux cri, est l’alter ego parfait du cyprès du peintre hollandais, que Munch (surnommé parfois le « Van Gogh du XXe siècle ») avait rencontré à Paris. Dans les deux cas nous constatons un aspect convulsif identique, ce qui dénote incontestablement le manque de sérénité et de stabilité des deux peintres qui ont d’ailleurs utilisé pratiquement les mêmes procédés techniques : des couleurs accolées les unes aux autres à l’aide de larges coups de pinceau, au détriment du dessin. C’est ainsi que Van Gogh après sa première période impressionniste sera classé lui aussi parmi les expressionnistes.
Mais dans la série des précurseurs de l’expressionnisme, citons le peintre belge James Ensor que l’on oublie souvent de mentionner, et qui fut le spécialiste de la représentation de masques et de la mort (cf «Le peintre Skeleton » -1895). Et nous savons que sa vision torturée de la réalité a influencé de nombreux artistes, notamment des artistes du mouvement expressionniste « Die Brücke » :
« Die Brücke » und « Der Blaue Reiter » (soit « Le Pont » et « Le Cavalier Bleu ») furent en effet les deux courants constitutifs du mouvement expressionniste historique, si peu connu en France. Il a concerné surtout les pays d’Europe du Nord, l’Allemagne et l’Autriche en particulier, de 1905 à 1914 et même au delà. Il fut l’une des tendances majeures de l’art au début du 20ème siècle.
Le groupe « Die Brücke » créé à Dresde en 1905, eut comme principal représentant son créateur Ernst Ludwig Kirchner (1880-1938). Voir « Autoportrait en tant que soldat» (1915) avec sa main droite amputée…
Emil Nolde (1867-1956), très influencé par James Ensor, a appartenu également à ce groupe. Peintre du Nord de l’Allemagne, il représentera souvent sa région natale, ses « Maisons frisonnes » (1910) et cette Mer du Nord, qu’il aimait tant.
Le groupe « der Blaue Reiter », plus intellectuel que « die Brücke », fut créé à Munich en 1911 par deux peintres : Vassily Kandinsky d’origine russe (qui évoluera vers l’abstraction) et Franz Marc (1880-1916), aidés du peintre August Macke (1887-1914). Voir les nombreux tableaux représentant des « Chevaux bleus » admirés par les deux créateurs, la couleur bleue symbolisant à leurs yeux le masculin austère et le spirituel, le jaune le féminin.
Mais n’oublions pas deux célèbres Autrichiens : Egon Schiele (1890-1918) et Oscar Kokoschka (1917-1980).
Le fameux tableau « La Famille » (1918) de Schiele, est particulièrement émouvant, car il met en scène le peintre lui-même, sa compagne et leur futur enfant qui ne naîtra jamais, les parents en 1918 étant victimes à quelques jours d’intervalle de la grippe espagnole.
Le Suisse Paul Klee appartiendra également à ce groupe mais il s’orientera bientôt vers le cubisme et le surréalisme.
Et nous retrouvons Munch lors d’un événement véritablement scandaleux : Le 18 juillet 1937 en effet la ville de Munich accueillera l’exposition la plus tragiquement célèbre de l’histoire sur le thème « Entartete Kunst » (« Art dégénéré »). Car pour les Nazis il s’agissait de dénoncer et surtout de tourner en ridicule tous les représentants de l’abstraction, du cubisme, du dadaïsme et surtout de l’expressionnisme, tous ces artistes étant mis à l’index ! Et c’est ainsi qu’en 1937, 82 tableaux de Munch sont confisqués et exclus des musées allemands par les Nazis, ce qui provoquera l’ire de Munch.
Parmi ces peintres honnis on compte aussi entre autres, Marc Chagall, Picasso et un certain Emil Nolde… Car ce dernier, partisan convaincu du nazisme dès le début, tombera bientôt en disgrâce, ses tableaux « trop expressionnistes » ayant déplu bien sûr… à Hitler !
La musique permettant de concrétiser des émotions par le langage des sons et des dissonances discordantes, trois célèbres compositeurs autrichiens, Arnold Schönberg (1874-1951), Alban Berg (1885-1935) et Gustav Mahler (186061911) relèvent eux aussi de ce mouvement expressionniste.
Il en est de même avec des réalisateurs tels que Murnau (1888-1931) ( « Nosferatu, le vampire »), Fritz Lang (1890-1976) (« Metropolis », « M le Maudit », « Docteur Mabuse »…), ainsi qu’avec le dramaturge August Strindberg et le grand metteur en scène et réalisateur autrichien Max Reinhardt : tous ont su en effet dans leurs compositions plastiques, musicales, littéraires et sur les traces de leurs brillants prédécesseurs, exprimer eux aussi leurs émotions les plus intimes, leur mal-être et surtout leur conception tourmentée de la vie.
Et en France ? Certains veulent voir en France un prolongement de ce mouvement expressionniste à travers le Fauvisme, mouvement éphémère qui se définit par « une palette vive et une facture rageuse ». Il durera entre 1904 et 1908, représenté notamment par Matisse (« La Femme au chapeau » 1905), précurseur et principal représentant du mouvement, Derain (« Le phare de Collioure » 1905) et Vlaminck (« Le Fauve rugissant » 1905). L’appellation de « Fauve » étant due, lors du Salon d’automne de 1905, à une exposition de jeunes peintres dans une salle du Grand Palais. A cause des couleurs et de la façon dont celles-ci étaient utilisées, cette salle fut qualifiée par un critique d’art de « Cage aux fauves » !
En conclusion l’on peut dire que « Le Cri », ce célèbre tableau de Munch, au retentissement certainement jamais imaginé par le peintre, est en fait une œuvre autobiographique, un aveu, l’expression de l’horrible cauchemar d’un homme et de sa tentative, grâce à l’art, de s’en libérer dans un cri. Mais ce tableau est aussi une métaphore de nos angoisses existentielles. N’aurions-nous pas en effet quotidiennement l’occasion de pousser nous aussi un cri d’horreur, en nous identifiant en quelque sorte au personnage de ce célèbre tableau ? Le «Cri » de Munch aurait donc une portée universelle et l’Expressionnisme, cet art de la souffrance, de la révolte, de l’angoisse existentielle, serait en fait une manifestation de « l’esprit universel » (Gesamtgeist), comme l’affirma un jour un écrivain autrichien peu connu en France, un certain Hermann Bahr.